Economie du partage: et si on arrêtait de tout confondre ?

L’économie du partage est sur toutes les lèvres de tous les continents, des USA à l’Europe, en passant par l’Afrique. Il y a même désormais, c’est dire le mainstream, des reportages de France 2 qui se consacrent au phénomène.

Il y a même, autre preuve que tout cela est rentré dans notre quotidien, des grêves et autres mouvements sociaux qui sont consacrés à certains des services offerts par cette économie (Grêves des taxis dans plusieurs pays, par exemple contre Uber) et même des programmes politiques qui se positionnent en fonction de cette économie. Ainsi, la nouvelle Maire de Barcelone est issue notamment d’un mouvement anti AirBnB, contre la spéculation induite dans sa ville sur le logement par ce service. Et la Catalogne vient d’ailleurs d’alourdir la fiscalité pour les nuits passées en utilisant ce service. Une mesure qui, appliquée dans notre pays, aurait sans doute fait hurler l’envahissante bande des french-basheurs qui pullulent sur le net.

Economie du partage : amalgames, choux et carottes

Derrière le phénomène de société, célébré comme étant le triomphe de l’autonomie des individus, à la fois consommateurs et producteurs, à la fois fournisseurs et clients, à la fois libres mais coopérant collectivement, on mélange un peu tout et n’importe quoi.

Oui, l’économie du partage est en marche et révolutionne les vieilles situations acquises. Les véhicules construits et pensés coopérativement. Les plates-formes de financement collectifs comme Ulule. Les structures comme Ouishare. Les écosystèmes de financements d’entreprise visant aussi à apporter du lien comme The Family. Mais aussi des structures comme Uber et AirBnb qui ne sont en fait que des sites de locations de biens ou de services.

Révolutionner l’économie par les individus ne veut pas toujours dire révolutionner la manière dont les biens et services sont vendus

Attention, il ne s’agit pas de faire du bashing stupide. AirBnB et Uber sont deux excellents services, qu’il m’arrive d’utiliser avec bonheur. Bien sûr, il peut y avoir et il y a souvent de l’échange humain lorsque j’utilise leurs services. J’ai devisé agréablement dans différents niveaux de service Uber. Discuté fort aimablement avec des logeurs Airbnb. Mais tout comme je peux avoir de l’échange humain dans un taxi ou un hôtel de bonne composition. Voire parfois moins : à Poitiers, pendant un congrès, je n’ai même pas vu le propriétaire, un garçon fort agréable au téléphone au demeurant, qui m’a fait remettre les clés par un tiers et les laisser chez un voisin. Ce qui ne m’a pas dérangé : comme la plupart des utilisateurs, j’étais surtout là avec un besoin de logement temporaire. Reste que nous étions dans une location des plus classique et marchande. Contrairement au discours porté par l’entreprise qui parle d’échange humain.

Là où l’on célèbre une économie différente, plus solidaire, moins gourmande en ressources, on est souvent en réalité dans un système des plus classiques : je possède un bien ou je propose un service. Et je te le vends contre une rémunération.

Rien de neuf, si ce n’est la facilité à le faire induite par le numérique. Plus novateur est l’encouragement à faire usage d’une ressource parfois inutilisée dans certains services pour en tirer un revenu, tout en permettant à d’autres de les utiliser. Par exemple Drivy, qui propose aux propriètaires de véhicules non utilisés de louer leur bien à des particuliers au lieu de laisser un bien coûteux sans utilisation. Et bien sûr Blablacar, qui permet de proposer des places vides dans sa voiture le temps d’un trajet. Où certes l’échange verbal a aussi des chances de se faire. 3 heures de route c’est long.

Autre novation affirmée par l’économie du partage : l’usage serait plus intéressant que la propriété. Au lieu de posséder des disques, on écoute de la musique en stream sur Deezer. Au lieu d’acheter une voiture, on la loue à un particulier. Au lieu d’aller en librairie, on prend un abonnement chez Amazon ou Izneo. 

Reste que ce discours, appliqué dans nombre de secteurs, n’est pas si nouveau : depuis toujours des gens louent des véhicules plutôt que d’en acheter ou empruntent des livres  et des disques plutôt que d’en acquérir.

Bien sûr que l’économie du partage existe (voitures collectives, plates-formes de financement participatives, encyclopédies coopératives), bien sûr également que les sociétés comme Uber ou Air Bnb ont révolutionné leurs secteurs, permis à des individus de générer des revenus et vivre des expériences différentes.

Tout n’est pas neuf dans l’économie du partage

Mais chez trop d’acteurs du marché, il s’agit surtout à gigantesque échelle d’agence de ventes et de location de biens ou services des plus classiques. Un peu comme si on avait, à l’époque où se sont créées les agences de mises en relation immobilières de particuliers à particuliers, parlé d’économie du partage. Alors qu’il s’agit à chaque fois tout simplement de vendre ou louer un bien. Bien plus : certaines activités ont marchandisé des pratiques qui ne l’étaient pas toujours et ont contribué parfois à marginaliser le non marchand.

Ainsi, AirBnB a fortement occulté le couchsurfing, dont il est moins question désormais dans les médias et les pratiques. Se diront certains, pourquoi prêter un coin de canapé là où l’on peut le louer tout en se sentant aucune obligation vis à vis de son hôte ? Il faut avoir la foi chevillée au corps pour être couchsurfeur en 2015. Une activité qui donne lieu plus souvent à un partage que chez son concurrent payant…

Mais il est vrai également que les nouvelles entreprises permettent aussi de rationnaliser des pratiques parfois incertaines. Il est plus sûr et fiable à tout niveau de prendre Blablacar et de partager la note que de faire du stop.

La rente individuelle devant le travail

Autre point noir d’une part de l’économie du partage : derrière l’échange ainsi célèbré, c’est de plus en plus souvent la rente qui est favorisée au détriment du travail. Pour louer sur AirBnB, il faut posséder un ou plusieurs appartements. Plus ceux-ci seront nombreux, situés dans des endroits attractifs, plus le gain sera fort. Plus la voiture que vous proposerez à la location sur Drivy sera confortable et cotée, plus vous pourrez la louer à bon prix.

Qu’on puisse trouver intéressant la manière dont les barbares (selon l’expression intéressante promue par Nicolas Colin) révolutionnent des secteurs entiers est normal. Qu’on puisse se réjouir des nouveaux possibles que nous offre l’économie du partage et profiter de leurs avantages est normal. Mais qu’on évite de confondre nouvelles possibilités de locations avec création de lien humain, économie réellement partagée, qui existe pourtant de son côté, et place de vente de services, voilà qui amènerait à un peu de clarté derrière certains discours un peu trop marketing. Pas assez humains.

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Economie du partage: et si on arrêtait de tout confondre ?

L’économie du partage est sur toutes les lèvres de tous les continents, des USA à l’Europe, en passant par l’Afrique. Il y a même désormais, c’est dire le mainstream, des reportages de France 2 qui se consacrent au phénomène.

Il y a même, autre preuve que tout cela est rentré dans notre quotidien, des grêves et autres mouvements sociaux qui sont consacrés à certains des services offerts par cette économie (Grêves des taxis dans plusieurs pays, par exemple contre Uber) et même des programmes politiques qui se positionnent en fonction de cette économie. Ainsi, la nouvelle Maire de Barcelone est issue notamment d’un mouvement anti AirBnB, contre la spéculation induite dans sa ville sur le logement par ce service. Et la Catalogne vient d’ailleurs d’alourdir la fiscalité pour les nuits passées en utilisant ce service. Une mesure qui, appliquée dans notre pays, aurait sans doute fait hurler l’envahissante bande des french-basheurs qui pullulent sur le net.

Economie du partage : amalgames, choux et carottes

Derrière le phénomène de société, célébré comme étant le triomphe de l’autonomie des individus, à la fois consommateurs et producteurs, à la fois fournisseurs et clients, à la fois libres mais coopérant collectivement, on mélange un peu tout et n’importe quoi.

Oui, l’économie du partage est en marche et révolutionne les vieilles situations acquises. Les véhicules construits et pensés coopérativement. Les plates-formes de financement collectifs comme Ulule. Les structures comme Ouishare. Les écosystèmes de financements d’entreprise visant aussi à apporter du lien comme The Family. Mais aussi des structures comme Uber et AirBnb qui ne sont en fait que des sites de locations de biens ou de services.

Révolutionner l’économie par les individus ne veut pas toujours dire révolutionner la manière dont les biens et services sont vendus

Attention, il ne s’agit pas de faire du bashing stupide. AirBnB et Uber sont deux excellents services, qu’il m’arrive d’utiliser avec bonheur. Bien sûr, il peut y avoir et il y a souvent de l’échange humain lorsque j’utilise leurs services. J’ai devisé agréablement dans différents niveaux de service Uber. Discuté fort aimablement avec des logeurs Airbnb. Mais tout comme je peux avoir de l’échange humain dans un taxi ou un hôtel de bonne composition. Voire parfois moins : à Poitiers, pendant un congrès, je n’ai même pas vu le propriétaire, un garçon fort agréable au téléphone au demeurant, qui m’a fait remettre les clés par un tiers et les laisser chez un voisin. Ce qui ne m’a pas dérangé : comme la plupart des utilisateurs, j’étais surtout là avec un besoin de logement temporaire. Reste que nous étions dans une location des plus classique et marchande. Contrairement au discours porté par l’entreprise qui parle d’échange humain.

Là où l’on célèbre une économie différente, plus solidaire, moins gourmande en ressources, on est souvent en réalité dans un système des plus classiques : je possède un bien ou je propose un service. Et je te le vends contre une rémunération.

Rien de neuf, si ce n’est la facilité à le faire induite par le numérique. Plus novateur est l’encouragement à faire usage d’une ressource parfois inutilisée dans certains services pour en tirer un revenu, tout en permettant à d’autres de les utiliser. Par exemple Drivy, qui propose aux propriètaires de véhicules non utilisés de louer leur bien à des particuliers au lieu de laisser un bien coûteux sans utilisation. Et bien sûr Blablacar, qui permet de proposer des places vides dans sa voiture le temps d’un trajet. Où certes l’échange verbal a aussi des chances de se faire. 3 heures de route c’est long.

Autre novation affirmée par l’économie du partage : l’usage serait plus intéressant que la propriété. Au lieu de posséder des disques, on écoute de la musique en stream sur Deezer. Au lieu d’acheter une voiture, on la loue à un particulier. Au lieu d’aller en librairie, on prend un abonnement chez Amazon ou Izneo. 

Reste que ce discours, appliqué dans nombre de secteurs, n’est pas si nouveau : depuis toujours des gens louent des véhicules plutôt que d’en acheter ou empruntent des livres  et des disques plutôt que d’en acquérir.

Bien sûr que l’économie du partage existe (voitures collectives, plates-formes de financement participatives, encyclopédies coopératives), bien sûr également que les sociétés comme Uber ou Air Bnb ont révolutionné leurs secteurs, permis à des individus de générer des revenus et vivre des expériences différentes.

Tout n’est pas neuf dans l’économie du partage

Mais chez trop d’acteurs du marché, il s’agit surtout à gigantesque échelle d’agence de ventes et de location de biens ou services des plus classiques. Un peu comme si on avait, à l’époque où se sont créées les agences de mises en relation immobilières de particuliers à particuliers, parlé d’économie du partage. Alors qu’il s’agit à chaque fois tout simplement de vendre ou louer un bien. Bien plus : certaines activités ont marchandisé des pratiques qui ne l’étaient pas toujours et ont contribué parfois à marginaliser le non marchand.

Ainsi, AirBnB a fortement occulté le couchsurfing, dont il est moins question désormais dans les médias et les pratiques. Se diront certains, pourquoi prêter un coin de canapé là où l’on peut le louer tout en se sentant aucune obligation vis à vis de son hôte ? Il faut avoir la foi chevillée au corps pour être couchsurfeur en 2015. Une activité qui donne lieu plus souvent à un partage que chez son concurrent payant…

Mais il est vrai également que les nouvelles entreprises permettent aussi de rationnaliser des pratiques parfois incertaines. Il est plus sûr et fiable à tout niveau de prendre Blablacar et de partager la note que de faire du stop.

La rente individuelle devant le travail

Autre point noir d’une part de l’économie du partage : derrière l’échange ainsi célèbré, c’est de plus en plus souvent la rente qui est favorisée au détriment du travail. Pour louer sur AirBnB, il faut posséder un ou plusieurs appartements. Plus ceux-ci seront nombreux, situés dans des endroits attractifs, plus le gain sera fort. Plus la voiture que vous proposerez à la location sur Drivy sera confortable et cotée, plus vous pourrez la louer à bon prix.

Qu’on puisse trouver intéressant la manière dont les barbares (selon l’expression intéressante promue par Nicolas Colin) révolutionnent des secteurs entiers est normal. Qu’on puisse se réjouir des nouveaux possibles que nous offre l’économie du partage et profiter de leurs avantages est normal. Mais qu’on évite de confondre nouvelles possibilités de locations avec création de lien humain, économie réellement partagée, qui existe pourtant de son côté, et place de vente de services, voilà qui amènerait à un peu de clarté derrière certains discours un peu trop marketing. Pas assez humains.

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