Le numérique, un secteur pas pris au sérieux par les décideurs Romain Blachier

Le numérique, si il suscite un optimisme parfois délirant, est trop souvent considéré en tant que vecteur de débats et d’opinion, comme un secteur secondaire par un nombre considérable de décideurs économiques et politiques.

Croisé au hasard d’un lien twitter envoyé par Mry, le billet de Éric Verhaeghe sur le site de droite Atlantico intitulé
Cette erreur que commettent les élites françaises quand, à force de snober Internet, elles l’abandonnent à la fachosphère

Si l’auteur utilise un mauvais thermomètre pour faire son diagnostic et limite son analyse du numérique au web, son constat tombe juste.

Mauvais thermomètre pourquoi? Parce que l’auteur se base, tout en formulant des critiques très justes sur celui-ci, sur le classement ebuzzing des blogs politiques pour affirmer que c’est aujourd’hui l’extrême-droite qui domine l’internet d’opinion.

C’est faire peu de cas des autres supports que le blog d’abord.Mais c’est surtout ignorer, ce qui est un souci lorsqu’on écrit sur le sujet, qu’une quarantaine de blogs de gauche, dont la plupart du top 10 du classement, ont quitté Ebuzzing. A la fois lassés d’une méthodologie pour le moins confuse depuis le départ il y a environ un andu regretté Jean Veronis, dont nous avons eu la douleur d’apprendre récemment la disparition, et du comportement insultant de son fondateur.Certains blogueurs faisant à Eric Verhaeghe remarque de cette carence se sont vertement faits envoyer paitre. Curieux.

Reprenons sur l’aspect le plus important, celui qui est le sujet du billet de Eric: que le constat d’un web laissé comme un terrain d’opinion secondaire, laissé à une fachosphére. qui du coup s’en empare. Je ne sais pas si les choses sont si simples, si par exemple le web n’est pas qu’un simple révélateurs de choses qui existaient mais avaient moins de supports d’expression.

Comme le disait Rubin l’autre jour, nul doute que l’on aurait Facebook dans les années 70, que des expressions au moins aussi virulentes se seraient développées dans les sites et forum. On n’est donc pas dans la question des mœurs de l’époque comme aurait pu le dire Cicéron, qui certes menait son existence bien avant la chute de Myspace.

Par contre l’utilisation du numérique en tant que terrain est considéré par les élites (je trouve le mot globalisant mais allons-y) comme un sport de seconde division.

Dans les directions de communication des grands groupes, dans les ministères, dans le monde du journalisme etc…la communication internet est considérée comme une activité moins noble que la communication classique et ce, près de 20 ans après le début de l’accès internet grand public.

Qu’importe qu’un article de la presse numérique touche souvent plus de monde que le papier. Ou qu’un politique puisse aussi (il ne faut certes, contrairement à ce que disent certains, qu’il s’en contente) affirmer ses idées à travers les réseaux sociaux. Ce qui sera fait sur le net sera considéré comme moins pertinent et moins sérieux, moins digne d’investissements financiers et humains, qu’une action loin des claviers et des écrans d’ordinateurs.

Dans l’équipe d’un grand élu, ce n’est que rarement un collaborateur de premier rang qui s’occupe du numérique. Pareil dans le service communication d’une institution où le « geek » de service (qui est aussi parfois curieusement sollicité pour tout ce qui est de prés ou de loin lié à l’informatique, y compris quand cela est loin de son domaine de compétence) dispose souvent d’une des fiches de salaires les plus modestes. Alors que son travail nécessite souvent un panel de compétences plus varié que la moyenne. Ou encore la presse: écrire sur le papier de la Voix du Jura (environ 10 000 exemplaires) reste consciemment ou inconsciemment pour beaucoup bien plus importants que d’écrire pour Rue 89 et ses millions de lecteurs mensuels.

Encore plus dommage, enfermés dans une tour d’ivoire, les intellectuels français refusent souvent de s’aventurer sur la question numérique. Oh certes ils ne sont pas le seul, la carence est généralisée. Au point qu’on manque en effet d’intellectuels critiques du numérique, au risque de la vacuité. Vacuité qui peut être un prétexte pour les « élites » de continuer à ne pas prendre au sérieux ce secteur si riche en possibles.

photo sous créative commons par davidkjelkerud