Interview d'Ali Soumaré autour du livre Casier Politique (Lyonnitude(s) )

Je connais et j’ai un grand respect pour Ali Soumaré depuis pas mal d’années. Nous nous croisions réguliérement dans les rendez-vous et échéances nationales du Parti Socialiste ainsi que dans les moments de rassemblement de SDJ, le regroupement des jeunes strauss-kahniens. Avec Badr Slassi, Patrick Haddad et quelques autres, il faisait partie des piliers de notre mouvement de jeunesse dans le Val D’Oise.

Déjà on sentait une grande maturité et un talent chez Ali, que les années n’ont nullement démenti. Issu des quartiers populaires, éducateur, c’est un homme venu du terrain qui s’est intéressé à la politique.

Désigné tête de liste du Val d’Oise pour les régionale suite au vote des militants du département, Ali a subi, on s’est souvient, une campagne de dénigrement violente avant de triompher magistralement en remportant une large majorité auprès des électeurs. Ali est aujourd’hui conseiller régional PS d’Ile-de-France.

Il raconte aujourd’hui son parcours, loin d’être terminé à 29 ans, et ses convictions dans « Casier Politique », un ouvrage que j’ai dévoré dimanche dernier. Du coup ceci mérite bien une petite interview.

Romain Blachier : Pourquoi ce livre ? Comment est-il né ?

Ali Soumaré: Je voulais « me raconter » après les attaques de l’UMP que j’ai connu lors des élections régionales de 2010 pas par narcissisme mais pour comprendre et expliquer ce qui au fond n’était pas forcément un dérapage. J’ai été qualifié de « déliquant multirécidiviste chevronné ». Donc ce qui m’a convaincu d’écrire ce livre ? Ceux qui connaissent un parcours ordinaire parfois chaotique mais qui s’en sortent dans les banlieues françaises, ceux qui ne ressemblent pas au « corps traditionnel français », ceux qui y ressemblent mais s’interrogent sur la France du 21ème siècle et son évolution, ses banlieues, ses valeurs, ceux qui ne croient plus en la politique et en ces représentants, tous ceux qu’on n’entend pas ou qu’on ne veut pas entendre. J’ai ensuite rencontré Jean-Marc Pitte un journaliste très professionnel, et le plus important à l’écoute, nous avons décidé d’écrire ce livre que je voulais fonder sur mon récit de vie et à partir de lui pouvoir donner des clés de compréhension et d’actions politiques.

RB: Comme moi, tu te définis social-démocrate, proche de Strauss-Kahn et Rocard. Qu’est-ce qui t’attire dans cette nuance de la gauche ?

AS: D’abord le respect de l’homme ordinaire. Il n’y a pas plus grande marque de respect que d’expliquer les choses compliquées ou complexes à des personnes qui n’en sont pas les spécialistes sans démagogie et avec respect. Ensuite le bon sens, on part bien du réel et à partir de lui on essaye de le transformer mais sur des bases réalistes. On n’en est pas moins ambitieux que d’autres mais on s’inscrit dans ce monde-ci et son économie marchande notamment, on n’appelle pas au « grand soir » et on a pas besoin de sauter sans cesse sur notre tabouret pour être vraiment de gauche. Notre réussite n’est d’ailleurs pas toujours à notre crédit or depuis plus de 20 ans la plupart des dirigeants de droite ou gauche ce sont, en catimini, ralliés à notre logiciel et notre politique de régulation, de redistribution sociale et d’innovation sans le revendiquer. Enfin car nous avons encore beaucoup à apporter en matière de renouveau politique, notre histoire, nos hommes et femmes, notre volonté font de nous les meilleurs pour apporter des réponses à la crise actuelle car si on nous copie c’est imparfaitement alors que notre démarche est globale et cohérente pour modifier en profondeur un capitalisme débridé et proposer une vie et des relations plus équilibrées, plus justes.

RB: Nous sommes tous deux des élus et des militants laics qui sommes croyants. Comment tu articules ta foi et ton engagement politique pour ta part?

AS: On le sait la laïcité comme la démocratie sont des combats de tous les jours mais qui ne sont des victoires que temporaires … jusqu’au prochain combat. On vient d’en avoir l’illustration depuis quelques jours avec la vision de Marine le Pen de l’Islam, ce n’est que le prolongement d’une haine de l’autre que l’on retrouve dans toute l’Europe (Suisse, Pays-Bas, Belgique, etc.) et que ce gouvernement attise malicieusement depuis des années. Je crois profondément, à l’instar de ce gand combat pour la laïcité qui a duré plus d’un siècle avant de mener à la loi de 1905, que c’est l’implication de militants croyants, tout en étant laïcs, qui va conduire à ce renouveau laïc, que ce soit de la part de militants appartant comme toi à l’Eglise Réformée ou comme moi à l’Islam. Je suis persuadé que de tout les pays du monde la France sera celui qui réussira le premier car notre socle, la laïcité, et notre devise – liberté, égalité, fraternité – ont les racines les plus profondes et les plus modernes et authentiques du monde occidental. La France est la mère de l’universalisme, nous devons nous retrouver et paradoxalement l’islam nous offre ce défi. Il sera certes long, difficile et semé d’embûches mais nous le relèveront car la France malgré ses extrêmes reste la France. En assumant dans ce cadre ma foi, ma religion et mon engagement, le plus normalement possible, je pense à mon échelle contribuer à oeuvrer à un islam de france que chacun appelle de ses voeux, à dédiaboliser une religion qui sous certain aspect peut inquiéter, mais dont les similitudes, les racines, la philosophie sont les mêmes que le judaïsme et le christianisme. Elles se résument d’ailleurs simplement à essayer d’être un meilleur homme notamment en respectant et aimant son prochain. Ensuite après l’appel de cet islam, il faut oeuvrer concrétement le mettre en oeuvre pas les uns contre les autres mais ensemble collectivement partiquants, athées, musulmans ou non avec une règle respecter les principes de la laïcité : la liberté de conscience de chacun et le respect de l’autre dans sa quiétude.

RB Un bébé, une élection réussie, un livre…et la suite ?

AS Etre un bon élu régional ? Il faut apprendre vite mais bien. C’est la première assemblée d’élus auquelle je participe. J’en suis fier et honoré. J’ai à coeur d’oeuvrer à changer les choses en profondeur mais pour le faire il s’agit aussi de bien comprendre entre autres le lien actuel entre politique et technique, ou l’administration, par exemple. Le politique a abondonné ses prérogatives trop souvent et il devient impuissant d’autant plus que l’administration s’affaiblit alors que lui manque d’imagination. Or pour changer les choses il faut les deux et chacun fort mais à sa place. A la région par exemple le travail des commissions, celui avec l’administration, le fait de toujours penser au sens politique de notre démarche sur la citoyenneté, la politique de la ville, la coopération internationale est impératif pour être à la hauteur de la confiance placée en nous – les gens ont voté pour des options politiques – mais aussi pour après car de nombreuses échéances se préparent… il faudra être prêt pas seulement pour nous mais aussi pour nos enfants.

RB Et pour finir donne-nous deux raisons d’acheter ton livre ?

AS Si vous ne connaissez pas les banlieues et les gens qui y vivent acheter mon livre pour vous donnez l’occasion de mieux les comprendre ainsi que de comprendre la mécanique d’enfermement et de stigmatisation de certains territoires et ces habitants. Si vous les connaissez pour confronter votre point de vue avec le mien. C’est la première raison. La seconde c’est que si Romain me fait le plaisir de m’interviewer et vous de lire son blog et cette interview… alors on a des choses en commun : la curiosité.

Casier politique, Max Milo Éditions, 256 pages, 16 euros.