2012 octobre | romainblachier.fr – Part 2

Verdun,
Le 18 octobre 1917,

Ma très chère Louise,
J’ai quitté les tranchées hier au soir vers 23h, maintenant je suis au chaud

et au sec à l’hôpital, j’ai à peu près ce qu’il faut pour manger.

Hier, vers 19h, on a reçu l’ordre de lancer une offensive sur la tranchée ennemie à un peu plus d’un kilomètre. Pour arriver là-bas, c’est le parcours du combattant, il faut éviter les obus, les balles allemandes et les barbelés. Lorsqu’on avance, il n’y a plus de peur, plus d’amour, plus de sens, plus rien. On doit courir, tirer et avancer. Les cadavres

tombent, criant de douleur.

C’est tellement difficile de penser à tout que l’on peut laisser passer quelque chose, c’est ce qui m’est arrivé. A cent mètres environ de la tranchée Boche, un obus éclata à une dizaine de mètres de moi et un éclat vint s’ancrer dans ma cuisse gauche, je poussai un grand cri de douleur et tombai sur le sol. Plus tard, les médecins et infirmiers vinrent me chercher pour m’emmener à l’hôpital,

aménagé dans une ancienne église bombardée.  

L’hôpital est surchargé, il y a vingt blessés pour un médecin. On m’a allongé sur un lit, et depuis

j’attends les soins.

Embrasse tendrement les gosses et je t’embrasse.
Soldat Charles Guinant, brigadier, 58è régiment.

P.S. : J’ai reçu ton colis ce matin, cela m’a fait plaisir, surtout le pâté

et la viande. Si tu peux m’en refaire, j’y goûterai avec plaisir.

Soldat Arthur Berger

Ce matin, la nouvelle est tombée: Le prix Nobel de la paix était attribué à l’Union Européenne. Aussitôt c’était un vent de commentaires cyniques divers. L’Europe était parée de tous les oripeaux de l’infamie, de l’inutilité, de l’échec.

Pourtant, n’en déplaise aux ronchons, aux nationalistes
divers et autres europhobes de tous bords et de toute anthropologie, au vu de l’histoire du continent jalonnée du sang des guerres, l’Union

Européenne mérite amplement ce prix Nobel de la paix

.

Ce n’est pas la pensée au soldat des guerres civiles européennes  sur les champs de Waterloo ou de Verdun, ce n’est pas le prisonnier des camps d’horreurs du nazisme ou le républicain tué par le franquisme qui aurait sans nul doute dit l’inverse.

Ce qui est amusant d’ailleurs, c’est de voir que nombre des opposants à ce prix, généralement opposés à des degrés divers à la construction européenne,  évoquent des arguments qui, bien réfléchi, devraient au contraire les amener à soutenir plus d’Europe.

Quand on m’explique que l’Union Européenne, c’est la guerre yougoslave ou plutôt les guerres yougoslaves, cela m’estomaque: celle ci a été menée par des forces principalement violemment nationalistes, aujourd’hui encore opposées à l’Europe et désireuses de rester dans le réduit national. Par ailleurs, c’est justement la volonté de certains de transférer le moins possible de pouvoir au niveau transnational qui a amené l’Union à ne pas disposer de forces propres.

Les partisans de plus de pouvoir à l’échelon transnational sont des plus favorables à une défense commune. Pour l’instant on en est encore à la nation, le même niveau qui fut si peu opérant face à l’horreur des guerres Yougoslaves.

D’autres ont tenté de mettre sur le dos de l’Europe certaines pratiques comme la françafrique. C’est oublier qu’il s’agit encore ici de pratiques issues des Etats  membres de l’Union, d’une survivance néo-coloniale et nationaliste que vient tout cela. Qu’encore une fois l’Europe est ici la solution et non le problème.

C’est d’ailleurs aussi, si on parle de paix militaire, parlons aussi de paix civile, grâce à l’Union que s’est créé la plus grande zone au monde sans peine de mort. Important au moment où la France lance sa campagne contre le meurtre d’Etat.

Si aujourd’hui l’Union Européenne semble être parfois le cheval de troie de certaines inégalités, ce n’est pas par son existence même mais par sa gouvernance.

Comme partout, lorsque les élections européennes et les Etats-Membres donnent une majorité de libéraux et de conservateurs, c’est le jeu démocratique que la politique menée le soit ainsi. Ce qui n’empêche pas la gauche européenne de jouer son rôle. Ce qui aurait pu être choquant au vu de ces politiques discutables, c’est que l’UE obtienne le prix Nobel…d’économie.

L’Union a largement mérité son prix. Ne serait-ce que pour avoir amené chez elle les horreurs de la guerre au musée de l’histoire et permi de cesser que les ouvriers, les paysans, les entrepreneurs, les les employés, les cadres etc… d’Europe soient envoyés sur les champs de bataille en des conflits fratricides et meurtriers.