Retour sur les élections tunisiennes | romainblachier.fr

Les résultats officiels n’ont pas encore été rendus publics (ils étaient censés se faire il y a deux jours) mais les islamistes tunisiens proposent déjà un certain nombre de mesures.

La toute première étant, pour ce parti arrivé nettemment en tête chez les tunisiens de France,  de faire complétement disparaitre le français de la vie publique du pays. La langue dans laquelle j’écris ce blog étant qualifiée de « pollution linguistique ».Ennahda a compris une chose:  le vote de nombreux tunisiens pour son parti et pour le CPR (nationalistes de centre-gauche) arrivé deuxiéme, aura été identitaire et le moyen de dépasser le seul clivage islamistes/laics est celui du nationalisme, version intransigeante.

Il y a gros à parier que si la société tunisienne ne va pas devenir  un second Iran, un certain conservatisme va s’y instaurer et ceux qui le dénonçeront seront, c’est classique, traités de mauvais patriotes. Dans cette histoire, les responsables sont nombreux: d’abord nombre de révolutionnaires du printemps n’ont pas su faire passer par la suite leurs  envies dans la proposition constructive pour la Tunisie de demain. Quand à la droite classique, elle est actuellement à ce point absente du spectre politique tunisien que ceux qui pourraient être tentés par elle se sont massivement reportés sur les très conservateurs islamistes ou, dans une bien moins mesure, sur le CPR. Ensuite, les multiples partis de gauche laics se sont présentés divisés pour des raisons absurdes de personnes, avec, à l’exception du Pôle Démocrate Moderniste, des discours changeants sur une alliance éventuelle avec des islamistes pourtant éloignés de leur projet de société. Alors que, cumulés, les différentes forces de gauche sont sans doute la première force du pays…

Ensuite le vote des tunisiens de France ne peut que nous interroger. Divisé en deux circonscriptions pour ce vote (Nord et Sud), le mouvement a respectivement récolté 33,70 % et 30,23 % des suffrages exprimés. Soit 4 des 10 sièges réservés aux Tunisiens de France dans l’Assemblée constituante. Vague d’islamisation de ce groupe ? Probablement pas. Comme souvent dans l’exil, les expatriés sont plus nationalistes que les nationaux résidants dans la mére-patrie, à l’instar du nombre important de sympathisants du Sinn Fein dans la communauté irlandaise de Boston…Ennahda aura su récupérer ce sentiment. Quitte à ce que nombre de ses électeurs franco-tunisiens se retrouvent un peu perdus au retour au pays en tentant de parler une langue française, on l’a vu, prise pour cible par les islamistes. Et cela n’en reste pas moins décevant pour le vivre ensemble de France.

Mais ne boudons pas l’essentiel: la démocratie a fonctionné dans un pays où elle n’avait jamais vraiment eu voix au chapitre. Si le résultat actuel est une bonne nouvelle pour nombre de réactionnaires, il n’en reste pas moins que celui-ci est issu du scrutin populaire. Il s’agit surtout d’une mauvaise affaire pour les autocrates. Dans nombre de pays arabes et/ou musulmans, preuve est faite pour ceux qui défendent les dictatures sous couvert d’identitaire, que la démocratie se conjugue partout.