Je ne veux pas coexister avec vous !

Coexister. Le mot est de tous les discours politiques les plus convenus. Coexister. Dans l’esprit de beaucoup façonner par le verbe un puissant aigle qui prend son envol dans les ciels bleus de la tolérance et de l’ouverture.
Coexister, exister ensemble. Un mot piégé, riche de périls. Une allocution dangereusement pavée de chausses-trappes mal dissimulées.

Un mot qui pourtant implique la vie, la vie à côté les uns des autres. La vie sans forcément se mêler. La vie sans même forcément s’accepter.

Un peu comme on peut coexister dans une rue avec un SDF haché par les tourments de la vie sans envie d’un échange quelconque avec lui, sans souhaiter que cet homme soit là. Coexister avec une bande de types bruyants dans son immeuble, des types qui mettent du Michel Sardou ou le dernier très discutable opus réac des Enfoirés. Coexister des types louches qui squattent en bas de son immeuble.

Coexister comme un couple séparé mais qui continue de cohabiter sous un toit alors que le commun s’est transformé en deux toi. Coexister avec un collègue de bureau insupportable avec qui on doit partager un même lieu de travail. Coexister comme deux joueurs d’une équipe en concurrence et en tension mais qui doivent tout de même arriver à monter dans le même bus pour aller jouer. Coexister comme un village nigérian devant s’accommoder de Boko Haram…

Coexister, comme ce mot à la belle écorce et aux tons chatoyants reflète un cœur sec et un intérieur chargé de piquantes aiguilles ! Il implique que l’autre diffère et qu’il faut faire avec. Paranoïa? Exagération? Je ne pense pas. Prenez un élément révélateur:

Elle est tellement chargé de sens véreux cette coexistence qu’on est parfois obligé pour l’adoucir de lui adjoindre un adjectif afin d’en extraire plus d’innocence. On parle alors de coexistence pacifique. Un adjectif qui de par son besoin de précision transforme l’expression en une sorte d’oxymore révélateur: la coexistence n’est donc pas pacifique en soit.

Et puis, continuer à exister, côté à côté, surtout quand c’est souvent le cas on parle de volonté de coexistence, cela implique aussi qu’un jour on peut ne plus vouloir. Puisque cela dépend d’une volonté. Couples, serbes et croates, chrétiens et musulmans de Syrie, habitants d’un même quartier.Comment on fait alors?

Mettons de côté l’intime et la liberté des individus qui fut tant longtemps niée, mettons ces situations à part. Et disons aussi qu’il est évident que les cultures, les religions, les identités n’ont pas a subir un broyeur les ramenant à une mélasse indolore.
Mais revenons sur la dimension politique de la question, celle dont je parlais au début de ce billet, celle qui porte le plus souvent la notion dans le bagage de ses écrits et ses oraux. Il faudrait peut-être penser à autre chose qu’à faire le marchand de coexistence dans le discours sur la cité. Ne pas penser superposé. Mais faire corps. Etre ensemble. Pas se tolérer par petits bouts…