Faut-t-il gracier madame Sauvage ?

La Selle-sur-le-Bied. Loiret. 1025 consciences. 1019 sans les compter, eux les Marot-Sauvage, puisqu’ils sont six dans la famille. Quatre femmes. Deux hommes. Quatre enfants. Et deux parents. Six vies de drames. Causés par l’un d’entre eux. Par le père. Celui que les enfants appellent papa.

La Selle-sur-Bied. Loiret. 1025 consciences. 1019 sans les compter, eux les Marot-Sauvage, puisqu’ils sont six dans la famille. Et tout le monde qui sait ce qui se passe chez eux six. Ils en savent un peu ou beaucoup les 1019 autres. Qui savent les coups. Sur la mère. Les viols. Qui savent la violence du père. Celui que les enfants appellent papa. Tout le monde qui sait tout, ou au moins beaucoup, mais personne qui ne dit rien.  Il parait que dans les villages on se sert les coudes. Apparemment on  ferme surtout les yeux.  Sur les coups. Des coups si forts qui ont fait prendre si souvent la route de l’hôpital à Madame Sauvage. Son corps meurtri. L’âme blessée aussi. Madame Sauvage. Celle que les enfants appellent maman.

La Selle-sur-Bied. Loiret. 1025 consciences. 1019 sans les compter, eux les Marot-Sauvage, puisqu’ils sont six dans la famille. Dont le père. Celui que les enfants appellent papa et celui que madame Sauvage appelle Norbert. Lui il l’appelle Jacqueline quand il l’insulte pas. Madame Sauvage. Celle que les enfants appellent maman.

Papa. Norbert. Hydre à deux têtes qui ricane quand une de ses filles pisse de façon incontrôlée devant lui. Parce qu’elle a peur quand il s’approche d’elle. Une des filles qui l’appellent papa.  Elle a peur qu’il la touche. Qu’il s’en prenne à elle. Qu’il s’approprie, qu’il démolisse, qu’il viole son corps et son esprit.

Parce qu’il fait ça papa.  Il fait ça à elle. Et à une autre de ses soeurs. Et à son frère qui finira par s’en tirer une balle. A quitter ce monde de merde et de méchants papa. Ce papa qui ricane quand elle fait pipi. Et qui lui donne un surnom à elle, sa fille : il l’appelle la pisse. Parce qu’elle pisse de peur à cause de lui.

La Selle-sur-Bied. Loiret. 1025 consciences. 1019 sans les compter, eux, puisqu’ils sont six, eux les Marot-Sauvage. Ca fait quarante sept années que les coups tombent sur elle. Ce soir elle en a marre madame Sauvage. A 66 ou 68 ans, elle est en train de tirer vers la fin d’une vie de pas toujours beaucoup. L’usine. La boite de transport qui marche pas très bien. Les enfants à élever depuis très jeune. A 25 ans elle en avait déjà quatre.Et puis toujours la violence Depuis que les enfants  sont petits, c’est aux coups et à la haine sur maman qu’ils assistent. Impuissants. Quand c’est pas eux qui prennent

Alors ce soir elle n’en peut plus madame Sauvage. Elle prend la carabine. Elle tire. Elle tire sur celui que les enfants appellent papa, celui qui la frappe et l’humilie. Deux fois. La troisième elle hésite. Elle tire. Encore.

C’est fini. Plus de Norbert. Plus de coups. Elle aurait jamais du le rencontrer Norbert. Comme ça il aurait jamais pu foutre sa vie en l’air si elle l’avait pas croisé. Et là, juste parce qu’elle s’est mise avec lui, elle  a gagné une vie de haine et de  coups. 47 ans de peur. Elle baisse sa carabine. Il n’y a plus ce soir que 1024 personnes à La Selle-sur-Bied dans le Loiret.

Après cela on arrête Madame Sauvage. Elle apprend en prison que son petit s’est suicidé.  Pascal. Il devrait reprendre la boite. Ils ne sont plus que 1023 à La Selle-sur-Bied. Dans le Loiret. Le fils n’avait pas supporté. La haine et les humiliations. Et leur souvenir. Une vie gâchée. Encore une chez les Marot-Sauvage. A cause de Norbert. Celui qu’il appelait lui aussi son papa.

Et puis c’est le procès de madame Sauvage. Deux fois. Une première fois. Et puis en Cours d’Appel ensuite.

On la juge. Elle. Sa vie. Pourquoi elle a fait cela. Pourquoi elle a pas fait autrement.

On lui dit que son geste n’était pas proportionné. Qu’il fallait qu’elle riposte de façon adaptée et proportionnée à ce qu’elle a subi. Mais c’est quoi, se demande Madame Sauvage, une réponse adaptée à une vie de coups ? A quarante-sept ans de violence et d’humiliation sur elle et ses enfants ? Elle sait pas Madame Sauvage. Et après 47 ans avec son mari, c’est enfermée que Madame Sauvage va devoir passer sa prochaine décennie. Même si on lui dit qu’elle peut être libérée avant. En fait 57 ans de prison au total si on compte Norbert.

Elle avait rien fait Madame Sauvage. Elle s’était juste mariée.

Si le meurtre est toujours une affaire condamnable, la situation de Madame Sauvage, son drame, ce qu’elle et ses enfants ont subi, n’a pas été  prise en compte par les tribunaux. Oui la justice reste une affaire de loi et collective, n’en déplaise aux députés de la droite dure qui veulent introduire un permis de tuer en France. Mais il convient aussi de regarder en profondeur, de tenir compter des situations horribles que peuvent vivre des femmes et des familles dans notre pays aujourd’hui à cause des violences domestiques. C’est pourquoi je vous encourage à signer l’appel à la grâce partielle ou totale de Madame Sauvage par le Président de la République. Des journaux comme Libération et les filles de madame Sauvage ainsi que des artistes se mobilisent en ce sens. Et si vous souhaitez, même modestement, lui apporter votre soutien financier, c’est également possible et heureux.

Par ailleurs je me félicite de l’introduction envisagée dans le droit via un amendement au projet gouvernemental présenté par Christiane Taubira, de dispositions pour prendre mieux en compte dans ce type de cas ces situations horribles que vivent certaines femmes. Des situations qui tuent chaque année 124 épouses et compagnes. Et blesse des milliers d’autres vies