Il est toujours difficile de parler d’un livre qui fait polémique sans y rentrer soi-même, sans amener sa pierre en faveur ou en défaveur des thèses développées dans l’ouvrage ou, ce qui se substitue de plus en plus à la consultation elle-même, à la construction de sa propre opinion, sans participer au débat sur le discours extérieur porté sur l’œuvre.
Commençons tout de suite par la question principale:
Oui l’ouvrage comprend une large part de reproches à Ségolène Royal.Les pages montrées dans Libération, si elles comportent plus de vitriol que la moyenne du livre ne sont pas isolées dans leur genre ni sorties du contexte.Le livre est une critique souvent juste mais pas toujours de la campagne présidentielle et de la candidate dans ses deux premiers tiers au moins puis trace quelques pistes pour l’avenir du PS.
L’impasse est un livre de colère, de quelqu’un qui, nous dit l’ancien Premier Ministre, s’est longtemps retenu.C’est ainsi qu’il stigmatise Ségolène Royal, pas vraiment au sens courant, qui est celui de dénigrer, d’exhiber un coupable mais plutôt en tant que élément révélateur des malaises de la gauche.
On a beaucoup parlé de cette phrase «une personnalité [qui] n’a pas les qualités humaines ni les capacités politiques» pour rénover le socialisme mais le livre contient nombre d’autres reproches, qui ont l’air parfois cruels mais touchent souvent juste comme le reproche de ne pas avoir démystifié le programme du candidat UMP, le sectarisme de son entourage, le fait d’avoir tenu le PS à l’écart avant de le rappeler puis à nouveau de l’écarter, d’avoir préféré trop souvent les formules type « ordre juste », « intelligence des territoires » aux mesures concrètes amenant les français à ne pas connaitre en réalité quelle serait sa politique en cas d’élection.
Par ailleurs, un certain nombre d’informations sur les nombreuses candidatures de Ségolène Royal à divers organismes (présidence de l’assemblée nationale, évincement d’un candidat désigné par les militants pour pouvoir se présenter aux élections législatives, tentative de présider l’association des régions de France)donnent un éclairage cru sur l’historique des ambitions successives de la candidate aux présidentielles.
Moins pertinentes par contre peut-être sont des critiques sur son mysticisme, qui peuvent en faire sourire certains mais qui ne méritent pas d’attaques coriaces ou un rejet trop systématique des propositions portées par la présidente de Poitou-Charente.
Mais, à contrario, Lionel Jospin est souvent trop complaisant sur lui-même et survole trop les choses.La défaite de 2002 n’est analysée qu’a partir de l’émiettement de la gauche, l’utilisation excessive de sa féminité par Ségolène Royal (qui a d’ailleurs parfois été le seul motif de ralliement de certains comme Yvette Roudy, dont le féminisme intelligent semble avoir viré au sexisme pur et simple) a aussi été amené par une politique de quotas constitutionnalisée sous le même Jospin.
Par ailleurs, la difficulté pour la jeune génération, à travail égal, de percer au Parti, écartée d’un revers de main, est réelle et si elle est souvent un effet pervers d’une bonne intention (la parité) utilisée par les notables pour rester en place tout en écartant les jeunes hommes, elle vient aussi d’un parti à forte culture gérontocratique, qui a réussi à minimiser les procédures démocratiques qui avaient permis à une génération de prendre le pouvoir et de le garder pendant plus de 30 ans.On ne peut pas dire qu’écarter le problème en trois lignes soit suffisant.
Enfin si la rappel positionnement du PS vis à vis du marché est utile (J’ai été effaré de voir deux secrétaires fédéraux du PS, universitaires de surcroit, confondre récemment les notions de régulation et d’économie de marché), la réflexion pêche sur la question du libéralisme et du capitalisme, qui sont trop souvent confondues, y compris ici par un homme aussi intelligent et cultivé que peut l’être Lionel Jospin.
En résumé, le cri de colère de l’ancien Premier Ministre est un témoignage qui a son intérèt.Le livre ne révolutionne pas le socialisme car il s’agit d’abord une oeuvre sur l’interne au parti.
Mais la voix de cette grande figure de la gauche, seule à part François Mitterrand à avoir amené les socialistes au pouvoir lors de ce dernier demi-siécle, mérite d’être entendue, sans excès d’adoration ni de dénigrement.