Derrière l’affaire Dieudonné, sur laquelle, on l’espère, l’actualité va passer, se déroule aussi la question de l’identité, de la reconnaissance des différentes souffrances et d’un excellent sketch, drôle et intelligent, de Nicolas Bedos. Et aussi d’une merguez.
Le semi-échec de Semoun vs la flamboyance de Nicolas Bedos
Le sketch de Elie Semoun de ce samedi midi sur Canal Plus en réponse à Dieudonné était raté, juste sauvé par une chute émouvante. Ca aurait pu être un sketch. Ca aurait pu être un témoignage. Cela a été incomplètement des deux sans réussir à être complétement bien.
La chronique de Nicolas Bedos sur Dieudonné chez Ruquier dans On n’est pas couché, m’a semblé par contre une excellente réponse, sur le fond, le rire, l’intelligence, la prise de risque (même si bien sûr les complotistes parleront d’homme du système, on est homme du système quand on est pas d’accord avec eux) et la réponse de fond sur toutes les douleurs humaines.
(Je l’ai revisionné ce matin ce sketch, ayant peur d’être encore dans l’ambiance d’une bonne soirée pourtant assez sage, avec Lyon City Crunch puis Christophe Ramel de Kriisiis, Pascal Cardonna de Radio France Matthieu Blanco qui est de lui-même en plus d’être plein d’autres choses)
Mais non, le sketch, écrit avant l’abandon par Dieudonné, revisualisé, touche toujours juste en ces heures d’aubes plus grises. On est ici pourtant sur un terrain inversement glissant à la pilosité postiche affichée ce soir-là par Nicolas Bedos, révélatrice du discours en deux couches du sujet abordé: la moustache hitlérienne mêlée à la barbe d’un probable intégriste. Loin de faire du dénigrement raciste comme je l’ai lu chez certains, Bedos a repris les codes de Dieudonné en l’appliquant sur d’autres cibles pour montrer le caractère abject de sa méthode.
Traiter à la fois des différents aspects du discours de Dieudonné et d’une partie de son public est façonnée d’un premier terroir où l’on peut laisser ses chausses dans les embourbements et pas seulement des offuscations que provoquent les vraies ou fausses provocations. Mais surtout parce que l’actualité est saturée à l’envie de cette histoire. Histoire heureusement sur le point de se terminer pour l’instant.
Une saturation sur Dieudonné dans laquelle les médias et le politique ne sont pas les seuls coupables
Ceci est d’ailleurs le seul billet que je fais sur le sujet depuis le début de l’offensive lancée par Manuel Valls (bien qu’ayant il y a quelques semaines, avant tout ce barouf, commis une bafouille contre la récupération de la quenelle lyonnaise sur Lyon Mag qui m’avait valu une volée de bois vert y compris de Dieudonné lui-même sur sa page Facebook).
Cette saturation de l’actualité ne vient pas uniquement du média et du politique: Ok France 2 était un peu ridicule quand le générique de fin de son émission par Taddei au sujet de Dieudonné a été suivi par une pub pour l’émission de Calvi du lundi sur la même chaine et sur le même thème. Oui on a pu avoir l’impression que l’actualité n’était composée que de sinistres clowns et d’antisémitisme. Mais c’est aussi sans compter sur le public: comme l’a dit à juste titre Sarkofrance, si tu parles pas de Dieudonné, tu intéressais personne cette semaine. Ceux qui se plaignent d’une omniprésence sont aussi ceux souvent qui contribuent à l’alimenter.
Reconnaitre la souffrance de chacun en France
Question aussi: là où Dieudonné est justement sanctionné, l’islamophobe Véronique Genest ou des journaux comme le Point se déchainent contre d’autres sans grand problème. Certes Genest ne tient pas de propos islamophobes pendant Julie Lescaut et il n’est pas reproché à Dieudonné d’être comédien mais de faire des sortes de meetings politiques antisémites dans son dernier spectacle. En ce sens d’ailleurs la jurisprudence créée par le Conseil d’Etat n’est pas si nouvelle, contrairement à ce qu’on peut lire par ci par là.
Mais une question intéressante existe aussi chez certains des partisans de l’ex-comique, qui si pour certains sont des fanatiques irrécupérables, sont pour d’autres amenés à comparer, souvent hâtivement, différentes discriminations. Quand un Président de la République sortant vous a pris pour cible pendant toute sa campagne, quand la presse conservatrice fait ses ventes sur la peur de votre culte, quand un tireur fou essaye de tirer sur des fidèles sortant du lieux de culte et que des militants de droite essaient de nuancer l’émotion suscitée, quand des abrutis jettent des têtes d’animaux morts sur une mosquée, il y a de quoi être énervé et exiger bien justement d’être l’objet d’une attention et d’une protestation face à l’Islamophobie. Heureusement cette protestation existe. Est-elle assez forte?
De même, lorsque l’on a l’envie de croire en rien, en rien du tout, on peut aussi légitimement se sentir énervé de voir le débat public et les pratiquants de toutes confessions et ceux qui les agressent d’autre part, prendre un tel temps. De même lorsque l’on est chrétien, l’on peut s’agacer du silence qui existe sur le drame terrible du christianisme dans le monde, première religion en matière de victimes de la persécution. De même…oh et stop, pourquoi la protestation ne pourrait-elle pas être partagée? Et puis le seul clivage dans la vie est-il celui-là?
Et puis, il est possible de s’inquiéter ET de l’antisémitisme libéré par Dieudonné ET de l’Islamophobie en France? Du poids du religieux dans l’espace public ET du sort des chrétiens dans le monde, notamment au Moyen-Orient ou en Corée du Nord ? C’est mon cas.
Faut-il vraiment se limiter à une identité fermée sur un aspect de son identité?
Et c’est le cas celui de beaucoup de républicains de divers bords. On doit VRAIMENT se définir uniquement ainsi comme semble nous l’exiger un nombre croissant de gens? Je ne suis pas que protestant pour ma part, je suis d’autres choses dans mon individualité. Et c’est pareil pour chacun. On est aussi et surtout même, ouvrier, chômeur, entrepreneur, hétéro, homo, amateur de rugby, joueur de dames etc…
C’est à ce refus de l’opposition des douleurs qu’a conclu Nicolas Bedos, avant une merguez, dans son sketch. Sketch qui ne résoudra pas ces souffrances mais qui fait du bien à l’âme déchirée des refuseurs de divisions, qu’elles soient celles des panzers ou des humains.