A l’origine, Laurent Gbagbo et moi avons quand même quelques points en commun.
A l’origine Laurent Gagbo est socialiste. Premier point commun. Dans un pays, la Côte d’Ivoire, utilisé comme bastion de l’anti-marxisme par la France sous la guerre froide, la notion même de gauche, de la plus sociale-démocrate à la plus rouge, est suspecte. Le FPI, son parti, est férocement combattu. A l’origine, Laurent, c’est un type qui veut concilier démocratie et justice sociale dans un pays très inégalitaire et où le Président est pendant des décennies le même hiérarque non élu, Félix Houphouet-Boigny.
A l’origine Laurent Gbagbo est un type bien, à qui l’on fait un mauvais sort à lui et à sa femme. Un homme sincèrement porté par l’envie de changer son pays et qui est victime de répression. Deuxième point commun, nous nous conscientisons à la politique par le prisme africain. Pour Gbagbo c’est évident et logique, il s’agit de son continent de naissance et celui de ses ancêtres proches.
Pour moi, qui fut un invité de l’Afrique quelques années et qui y eu nombre de mes premiers émois et consciences, Gbagbo était une figure du progressisme continental. J’en entendais parler par la presse et surtout par les disques du grand Serges Kassy, reggaeman plus polémique qu’Alpha Blondy, autre excellent artiste national plus connu. Serges avait vu trois des ses disques censurés par le pouvoir d’Houphouet-Boigny. Il finira dans le nationalisme et la xénophobie crasse, comme plein de tes partisans pourtant si prometteurs à l’époque.
Tu fais aussi de la prison, en partie à cause d’un technocrate, un type pas très politique mais qui, en ces années de crise, a décidé que la potion néo-libérale est le meilleur reméde pour la Côte d’Ivoire: le premier ministre nommé par Houphouet-Boigny et issu de la société civile: Alassane Ouattara.
Dans cette mixture qui ne donnera pas, comme toujours avec le néo-libéralisme, de résultats durables, les injustices créés sont légions. Avec ta femme et les socialistes ivoiriens, tu fais partie de ceux qui luttent pour que la vie soit moins injuste pour les plus modestes. Le pouvoir ne le supporte pas. Ouattara lui prend goût à la politique. Et comme tu as pris le créneau socialiste, que le PDCI, malgré son côté d’abord clientéliste d’abord, est classé à droite, lui il prend le créneau d’un vague centrisme matiné de libéralisme économique. Une sorte de Hervé Morin du sud de la planéte, avec plus de talent et compétence.
Mais tu sais, nous avons un troisième point commun: A l’origine, à la fin des années 90, hasard, nous devenons tous deux protestants. Avec une nuance de taille: tu vas chez des évangélistes assez radicaux, je suis réformé de sensibilité libérale.
On avait tout pour s’entendre cher camarade Laurent, en 2002 tu réussi grâce au peuple ivoirien à te faire reconnaitre une victoire électorale à la présidentielle que le général Guei, ton concurrent, essaie de te voler par un putsch militaire. Tu gagnes avec le peuple, avec les jeunes. Enthousiasmant, c’étaient les premières présidentielles pluralistes dans l’histoire de la nation. Le pays est dur à gérer, pour la première fois la droite ivoirienne, le PDCI, dominé par les baoulés, est hors du pouvoir après avoir mené une campagne xénophobe et s’être débrouillé pour rendre Ouattara inéligible. Dur pour l’ancien pôle de stabilité de l’Afrique de l’Ouest.
Et la, par calcul électoral, tu reprend la potion infâme de l’ivoirité, ce concept qui a permis d’écarter Ouattara agitant l’hypothése que certains de tes compatriotes ne sont pas les tiens. Tu y crois vraiment à cette notion inventée par la droite ivoirienne ? En tous cas cela te permet de rassembler très large, bien plus loin que tes rivages habituels. Au risque, dans lequel tu es tombé, de diviser le pays et de te pervertir dans tes convictions.
Tu en fais beaucoup. Habitants du nord du pays, étrangers des pays voisins, européens sont tes boucs-émissaires… A un point qu’assistant, en tant que représentant du PS, à des réunions du FPI en France, je vois de plus en plus tes camarades citer Le Pen en référence. Je me sent mal à l’aise, me retrouvant davantage dans un PIT duquel je me rapprche, débarassé de ses oripeaux marxistes et tenant un clair discours social et ouvert à tout le peuple ivoirien. D’ailleurs le PIT, parti de gauche sera un de tes plus farouches opposants. il est l’honneur du progressisme ivoirien. C’est ici qu’est venu notre divorce, en 2003/2004.
Quelques années plus tard une étrange force armée du nord, cette région dont est originaire Ouattara et dont tes partisans tabassent à la nuit tombée ceux qui en sont originaires dans les rues d’Abidjan, essaie de te renverser. On est d’accord, rien ne justifie un coup d’état armé si il y a vote mais tu l’as quand même un peu cherché. Tu es sauvé notamment par une intervention française.
Pourtant au même moment, tes amis, à commencer par Charles Blé Goudé, un leader étudiant sur le tard, excitent les jeunes de la capitale pour leur demander de s’en prendre aux français.
Pas au régime, pas à la France abstraite seulement mais aux individus, aux hommes, aux femmes, aux enfants, aux bébés. Dis Laurent, tu peux m’expliquer le rapport entre le progressisme et le fait d’éclater la tête d’un bébé par terre parce qu’il n’est pas de la bonne nationalité ? Dis tu peux (ou peut-être certains soutiens) peuvent-ils m’expliquer où est le progrès social dans le viol des femmes burkinabés qui sont une autre obsession de tes amis, parce que le père de Ouattara est issu de ce pays ? Non?
Tu trouves un compromis, certains rebelles entrent dans le gouvernement. C’est mal pris par une partie de tes amis. Normal. Tu as gagné une élection et on t’impose un premier ministre par la force. Même si il n’est point dénué de talent, celui-ci, Guillaume Soro, a tout de même pris les armes contre toi.
Arrivent, des années après, enfin les élections qui doivent tout trancher. Tu as été contraint et forcé de l’organiser ce suffrage. Tu n’as pas mené non plus une politique particulièrement transparente. Ni de gauche. L’argent que tu aurais pu donner aux plus démunis et aux services publics, tu l’envoie massivement sur des comptes en Suisse. Des comptes en Suisse et Bouygues mêlés à de la xénophobie. Où est le progressisme ?
Pourtant tu viens faire croire que tu es redevenu celui d’avant en début de campagne, le vrai mec de la gauche démocratique ivoirienne. Tu reçois la visite de personnalité du PS, qui veulent t’aider dans ta campagne et te faire échapper à tes démons nationalistes. Et puis tu reçois Guéant. C’est moins clair. Pour discuter des intérêts des grandes boites françaises à qui tu as confié des marchés ? Peut-être.
Et puis tu perd les élections. Ouattara t’as battu. Devant le monde entier qui a envoyé des observateurs.
C’est unanime sur la planéte, tous à part quelques dingues le reconnaissent. Mais c’est dur à comprendre pour toi et nombre de tes amis en Côte d’Ivoire. Les états africains te demandent de reconnaitre les urnes. Seuls les moins recommandables, comme le régime raciste de Hararé, qui en a remplacé un autre non moins obsédé par la couleur de peau, en changeant simplement la pigmentation et quelques autres dingos dictatoriaux te soutiennent encore.
En France, toute la classe politique reconnait le président Ouattara. Seul Emmanuelli et ses partisans continuent à te soutenir sans rien comprendre. Et puis Dumas, qui est un expert en dictateurs africains généreux avec les impôts des autres sans payer l’ISF…
Il aurait été temps de partir mais tu ne l’as pas voulu. Tu t’es laissé de nouveau emprisonner par la dépendance de tes vieux démons jusqu’à ta fin.
Dommage je t’aimais bien.
A l’origine.