L’un des soucis les plus centraux dans la lutte contre les régimes totalitaires est la croyance qui voudrait que l’information soit un élément de la libération des peuples est sans doute une douce illusion.
Ainsi selon une vision naive, si les Iraniens ou les Chinois pouvaient avoir un internet libre, ils pourraient sans nul doute trouver les moyens d’une révolte. Quand aux russes,si internet était moins surveillé, ils trouveraient à faire partir Poutine.
Partisans d’une Syrie sans El-Assad, encore quelques tweets et une poignée de statuts Facebook d’arriver à vos fins! Cette vision webcentralisée pourrait satisfaire complétément le blogueur que je suis: au lieu du fusil, le billet de blog, en lieu et place de bombardements la mise en ligne d’une vidéo sur Youtube.
C’est oublier que c’est d’abord au péril des matraques de police que les Egyptiens ont manifesté contre le hiérarque local. C’est aussi dans la vie la plus concrétes et non sur des forums que se déroulent les combats et massacres en Syrie.
Certes internet peut jouer son rôle de sensibilisation et de discussion, y compris dans des sociétés totalitaires. Pour reprendre l’exemple de la Tunisie, les manifestants utilisaient les réseaux sociaux pour se coordonner. Restait tout de même à manifester.
Mais comme le souligne Evegeny Morozov dans son ouvrage The Net Delusion, les outils sociaux ne sont pas à sens unique.
Au niveau des opinions exprimées: il existe bien évidemment en Russie des blogueurs s’opposant au systéme de Vladimir Poutine. De même en Chine, dans une moindre mesure, le contôle étant plus grand.
Mais souvent bien plus nombreux et mieux diffusés sont les sites diffusant un point de vue pro-gouvernemental.
Ensuite au niveau de l’utillisation du web, qui généralement loin d’être centrée, y compris en totalitarisme, sur la question des Droits de l’Homme, Contrairement à ce qu’une vision trop politique et angélique du monde pourrait faire croire, les mots les plus tapés dans un moteur de recherche en Russie, ne sont pas sur le théme « Droits de l’Homme en Russie » mais plutôt « Comment perdre du poids » ou des mots clés portant sur les stars ou la pornographie. Et si le contrôle est certes pour quelque chose dans cette prudence, des expériences diverses ont prouvé qu’il ne s’agissait pas de l’unique raison. En fournissant un web libre à des citoyens de pays totalitaires, une organisation américaine a ainsi pu constater que ces derniers avaient surtout la forte tendance à de mettre d’abord à rechercher des photos de Britney Spears nue…
De même une vidéo de massacre dans un pays totalitaire sera le plus souvent bien loin derrière en termes de visualisation sur youtube qu’un lolcat populaire…
Faut-il à ce moment ne rien faire ? Non et ceux qui ont aidé les Tunisiens et Egyptiens à accéder à internet pendant les blacks-out et les censures ont joué un rôle important et salutaire dans la réussite de tels mouvements en leur permettant de se coordonner et d’échanger.
N’oublions pas non plus que c’est la diffusion de l’immolation d’un jeune marchand, diffusée massivement sur le net, qui a lancé la révolte contre Ben Ali.
Mais l’information ne fait pas tout, il y avait déjà un terreau fertile et une population politisée, à fort potentiel, dans un pays inégalitaire. Penser que l’information soit le seul vecteur d’un soulèvement est une grave erreur…
Pour terminer avec un exemple d’avant la massification d’internet et la création du web, n’oublions pas que la RDA fut pendant toute la guerre froide, en contact sans censure avec la télévision de RFA. Les Allemands de l’est se délectaient à longueur de journée des séries et informations venues de leurs voisins de l’ouest. La seule région qui ne le captait pas était la plus politisée et la plus contestatrice…sans doute que la dictature était plus dure avec moins de distractions…