Journée quasi-tropicale sur Lyon ce lundi, le temps invite à l’alimentation en plein air.J’ai rendez-vous avec mon pote Alain Suberchicot (Antoine Saron de son nom de plume) professeur des universités en littérature américaine à Lyon III et auteur de plusieurs ouvrages sur la sexualité.Le bougre a en outre le bon goût d’habiter le plus bel arrondissement de Lyon.Son dernier en date « Eros à bâtons rompus » dépasse son champ habituel qui est celui de l’homosexualité pour se plonger dans les rapports de sexe de l’ensemble des types de sexualité, gays comme hétéro.L’auteur s’est interrogé sur les hommes qui aiment les femmes et les femmes qui aiment les hommes autant que sur les couples de même sexe et est arrivé à la conclusion de la similitude, que je partage entièrement.
Entretien à bâtons rompus autour des plats et des vins mitonnés par Robert, au Château d’If rue de Gerland dans le frais jardin intérieur du restaurant.Quoi de mieux pour évoquer la sexualité dans tous les sens qu’un tête à tête entre un hétéro de base et un homo réfléchi en ce chaud jour ?
Alain,c’est ton premier livre qui ne relève pas du porno gay il me semble?
On peut qualifier en effet, et je ne le récuse pas, mes ouvrages précédents de porno gay.Pour autant mon propos va au-delà de cela.Il y a beaucoup de choses sur le mode de vie et les valeurs du monde gay.
Tu trouves vraiment qu’il y a des valeurs dans Ouvertures (ou dans sa suite Désir de nuit) ? Moi je l’ai juste feuilleté; n’étant pas un amateur de porno, en tout cas pas du porno gay et j’ai surtout vu des trucs sur une combinaison en latex, une partouze dans un pavillon de chasse…
Je dis souvent que j’ai éliminé toute pensée de ces deux ouvrages mais c’est pour galéjer, ce n’est pas que porno…
Il y a quand des descriptions très précises du euh, travail sur l’anal…
Oui en effet il y a des descriptions très précises du travail sur l’analité.Pour autant ce travail s’effectue sur des êtres humains (rires…).Ce n’est qu’un prélude à considérer la personne, l’acte physique dans Ouvertures n’est que le révélateur des rapports entre deux personnes.
Tes personnages étaient froids et manipulateurs, avec une forte rhétorique dominant/dominé, un militantisme du froid…
Ca pose la question de la retenue des sentiments en littérature, il ne faut pas produire forcément du sentimental.Non il n’y a pas de militantisme du froid, je pense aux rapports entre les gens, je parle de la prise de risque, je la condamne, non rien d’égoïste…
Justement sur la prise de risque, toi tu es d’une génération où l’on a parfois glorifié le bareback, la prise de risque, la contamination volontaire.Un mec comme Dustan a été le porte-parole de ça avec un côté dandy ou pseudo-dandy.
Je ne pense pas que Dustan relève du dandysme.Dustan a été adulé ou au contraire fortement décrié.Je ne partage pas du tout sa philosophie du bareback à laquelle je m’oppose même complètement.Mais j’ai de l’admiration pour lui comme écrivain pour la qualité de son écriture.Il a ouvert un regard sur l’intime.
Il a contribué aussi à la populariser y compris auprès des hétérosexuel comme moi.Moi je n’aurais jamais spontanément ouvert un bouquin sur le sujet.Ca a permis a des maisons d’éditions de s’engouffrer dans le phénomène.
Tout à fait, il a ouvert un oeil sur l’intime.
L’intime? Le cul ou la vie à deux ?
Les deux.Sont-ils dissociables sur la durée ?
On avait une littérature gay trop sentimentaliste.Avec Dustan on est tombé dans un propos plus radical dans la culture gay.Il a amené la sexualité dans le littéraire.
Dans « Eros à bâtons rompus » es-ce que tu considères que la manière dont existe la sexualité détermine la gestion du couple ? Par exemple tu nous parle des deux mots pour designer les acteurs d’un rapport sexuel homo avec le passif et l’actif.D’ailleurs on retrouve ça dans la bible.Dans 1 Corinthiens 6:9 Paul dit ainsi « Ne vous égarez pas: ce ne sont pas ceux qui se livrent à l’inconduite sexuelle, à l’adultère, à l’idolâtrie, les hommes qui couchent avec des hommes (la traduction est d’ailleurs contestée, certains affirmant qu’elle ne parle que des gens ayant une inconduite, même si les textes grecs semblent bel et bien évoquer respectivement les partenaires actifs et passifs dans les pratiques homosexuelles masculines selon les notes de traduction de la Nouvelle Bible Segond), les voleurs, les gens avides, les ivrognes, ceux qui s’adonnent aux insultes et à la rapacité qui hériteront du Royaume de Dieu ».Petite parenthèse et je l’avais dit dans une note précédente, il ne me semble pas, malgré ce passage, que l’homosexualité en soi est un problème en christianisme.Mais en tout cas le genre actif et passif semble avoir une forte influence au moins dans les imaginaires…D’ailleurs tu donnes l’exemple dans ton livre d’une relation entre un quadra et un jeune rebeu où ce dernier, parce qu’il a cessé d’être complètement actif au lit au troisième rapport et est passé sur un comportement mixte au lit, brise la relation.
Ca varie entre les personnes, maintenant.Il est vrai que briser des codes entre personnes au lit ça fait changer un rapport,Il y a des relations où il y a domination partout sur l’un, d’autres où ça change selon les secteurs que ce soit chez les hétéros ou les homos.Ceci dit la question de la sexualité n’est jamais indépendante de l’existence et du vécu même si elle est variable selon les gens.
Et pourquoi cette envie d’écrire ce livre « Eros à Bâtons rompus »?
J’ai eu envie de refaire un ouvrage de Gide, publié dans les années 20, qui parle de l’homosexualité uniquement celui-ci, et avec des arguments très différents.A l’époque il expliquait le pourquoi d’être gay.Aujourd’hui on est dans un cadre différent, c’est « nous sommes homos, comment vivre ? ».
Tu fait du post-moderne, l’essentiel est gagné, la reconnaissance, après vient le temps des questionnements ?
C’est un peu ça.
Quoi que y’a des situations contrastées.Je pense que deux gays peuvent se rouler des pelles à Jean Macé, pas place du pont par exemple.Mais l’essentiel est en effet gagné pour les gays urbains d’occident.
C’est vrai.Il y a aussi la question: »Les gays sont-ils différents des autres ».Ma réponse est non.Mon livre interroge d’ailleurs autant l’homosexualité que l’hétérosexualité.D’ailleurs c’est un renversement du schéma habituel où c’est la pratique gay qui est souvent objet d’étude en particulier, c’est les hétéros qui définissaient.Mon narrateur se nomme François, il s’appelle comme ça, comme français car il est républicain.Ce livre est une manière de dire que nous aussi, homos, on fait partie de la République.
C’est moins contesté qu’avant, notamment par les conservateurs, même si on se rappelle certains propos de députés UMP ou il y a un peu plus longtemps les manifestations de droite contre le PACS.Je me souviens aussi d’une conversation dans une aumônerie étudiante chrétienne à ce moment-là où on est deux protestants pour le PACS face à 30 jeunes catholiques opposés, pas virulents mais compléments opposés.Là on a peut-être eu une évolution de la société.
J’en suis moins sûr que toi, il reste une droite puissante très réac là-dessus.
Et sur l’hétérosexualité?
Je me suis intéressé au couple, aux rapports hommes-femmes.C’est similaire, même s’il y a souvent plus de partenaires chez les gays.Comme on est entre mecs, forcément…Mais on s’attache de la même façon, on vit nos histoires sexuelles de la même manière.
J‘aime bien les références à Debord dans le livre.On est dans une vraie période de mots radicaux et de petites réalisations.Un vrai contraste.Aujourd’hui on parle de révolution pour une réduction de prix dans un supermarché.Ca cache un vide de la vie.Passons à autre chose, ça a amené quoi le PACS?
Ca a amené un horizon d’union, le fait d’officialiser son union, d’avoir la possibilité de le faire, ça donne un horizon au couple.Avant elle n’était pas le cas.Ca a changé le regard qu’on les gens aussi sur la communauté.Moi je prône l’égalité, c’est le sens de mon ouvrage.Il faut qu’on ai le choix de se marier ou pas.Il faut une perspective d’alliance et ça renforce pour certains les choses sur le long terme.D’ailleurs les hétéros se sont appropriés le PACS, ce qui n’était pas forcément gagné du départ.
Moi ça me semblait évident! C’est aujourd’hui une version républicaine et laïque des fiançailles, son pendant « mariage civil ».
Et là il y a égalité.Je suis pour l’égalité entre les gens, pas pour les particularismes et les combats particuliers.
Moi aussi! Moi quand on me demande j
e suis pas pro-gay, je veux juste une égalité des droits, une indifférenciation de le loi pour que ce soit la même pour tous, c’est pas le rôle de l’Etat de maintenir des différences.
Tout à fait. L’Etat n’a pas à se préoccuper de ce qui se passe dans la chambre à coucher ni avec qui sauf cas extrêmes.De toutes façon, on ne peut parler en généralités. LES couples gays ça n’existe pas tous comme LES couples hétéros.Il y a des histoires particulières.
Tu appelles aussi à une communauté sans communautarisme chez les gays.C’est très protestant tu sais? Explique-moi un peu.
Je soutiens l’économie homosexuelle; je veux que cette culture vive mais en même temps je suis citoyen d’un monde divers et j’y participe aussi, économiquement comme socialement.J’ai envie que mon univers existe mais aussi que tous les univers existent.Je suis pour la diversité.
Ca t’as apporté quoi la conception de cet ouvrage ?
J’espère que c’est un exercice de lucidité.Ca m’a permis de me mettre en ordre sur ces questions.Ca me sort aussi des travaux d’une université française, par trop muséale, qui manque d’ouverture sur le monde.Il faudrait introduire par exemple plus de choses sur les gender studies.
Y’a une dimension communauté dedans…Mais on ne comprend pas que la communauté au sens US,c’est parfois l’entièreté des gens, le sens est compliqué il peut aller de la société entière à un quartier ou une ethnie en particulier.Dans Desperate Houseviwes, on parle de la communauté de Wisteria Lane.
La notion est vaste en effet.Tu remarqueras que dans mon ouvrage je ne sors jamais de l’universel.Le sens communauty est divers.Le terme de communauté en français est très restrictif.
D’ailleurs sais que je sort bientôt un nouvel ouvrage? C’est sur un concept, la panique homosexuelle, initié par un professeur de Gender Studies à l’université de New-York,Eve Kosofsky Sedgwick.Elle est hétéro et mère de famille.Son concept vise à parler de la peur que peuvent inspirer aux hétéros le fait d’être tenté de devenir gay via des personnes homosexuelles.Un de ses ouvrages vient d’ailleurs d’être traduit en français.
Ma réflexion se portera sur les rapports entre les gens conçu comme un écosystème, la question de l’homosexualité entre un groupe qui est gay et un groupe constitué de gens masculins qui ne le sont pas forcément.L’homo est susceptible de « détourner » des gens qui ne le seraient pas, il y a interaction sociale.
Fin Août parait mon prochain ouvrage dans je fais une lecture du Moby Dick de Melville.Moby Dick:Désigner l’absence. C’est une réflexion sur la panique homosexuelle à bord, avec de la symbolique, un roman avec de grands mâts, des naïfs, des marins sexys….
Merci Alain.