Il est trop tôt pour savoir qui a réellement lancé cette nuit un cocktail molotov et incendié la rédaction de Charlie Hebdo qui sort ce jour un numéro rebaptisé « Charia Hebdo » avec pour « rédacteur en chef » Mahomet. Il est trop tôt pour savoir qui, des intégristes musulmans ou d’une manipulation de l’extrême-droite pour faire accuser l’Islam et attiser les tensions a commis cet acte ainsi que le piratage du site, même si certains en tirent déjà, comme à Oslo, des conclusions pour l’instant un peu rapides.
L’idée du numéro de ce jour était de blaguer avec Mahomet, de se moquer des intégristes mais aussi d’ironiser sur la panique qui a saisi certains pans de l’opinion lors de l’évolution de la situation en Tunisie avec la victoire des Islamistes ou en Libye avec la déclaration du chef de la rébellion.
En tous cas, cette histoire révèle un certain nombre de lignes de tensions. Alors que Charlie Hebdo attaque à toutes les religions en général (ce qui n’empêche pas le croyant que je suis de beaucoup m’amuser en le lisant) et prend réguliérement des procés de chrétiens intégristes, le drame n’est jamais aussi grand que lorsque l’on parle d’Islam en couverture, révélant un malaise sur la question. Honte devant la situation précaire d’une partie de la communauté musulmane et de certaines stigmatisations, réelles qu’elle subit, discriminations, passé colonial, mauvaise conscience, tout cela ne procéde pas de mauvais sentiments mais amène à ce que la critique soit moins aisée pour certains que vis à vis d’autres cultes.
Du coup certains considèrent que toute critique de la religion musulmane peut être instrumentalisée à des fins de discrimination. Louable intention de départ tant l’Islam est au centre des obsessions de tout un tas de gens pas très recommandables. Mais intention qui ne fait pas la part belle à la liberté du débat. Et qui hélas peut améner à des excés incroyables: Pascal Boniface a trouvé presque logique que le journal soit brulé, l’accusant de discriminer seulement les minorités, avant tout de même de condamner l’agression. Surprenante position puisque le journal s’attaque à toutes les religions mais aussi aux politiques, aux grosses entreprises etc… Curieux pour quelqu’un qui connait le journal: il y a été interviewé plusieurs fois. Alain Gresh va encore un peu plus loin et compare Charlie Hebdo à la presse antisémite des années 30 en Allemagne…Rappellons leur que refuser de traiter de la même façon l’Islam et les autres religions, cela porte se nomme aussi de l’inégalité.
Il y a aussi ceux qui considérent, la chose existe dans toutes les religions, que la critique de leur foi est interdite. Ce sont en général une minorité agissante et bruyante, à l’image des catholiques intégristes qui manifestent devant le théâtre de la ville. En version musulmane, nombre de ceux-là appelaient sur Twitter et Facebook à détruire les instruments de communication numérique de Charlie. Le manque de tolérance sur la liberté d’expression est une valeur partagée par trop de causes. Surtout quand cette tentative de censure s’effectue bien évidemment sans avoir lu le numéro concerné. Comme si il n’y avait pas mieux à faire, par exemple à débattre, et comme si Dieu avait des préoccupations aussi bassement matérielles qu’un like sous une image…