Ce mercredi matin, une partie de notre délégation comprenant Olivier Besancenot, des associations françaises de solidarité avec le Kurdistan, Olivier Dartigolle, porte-parole du PCF, Yebun, fondateur de l’UEKF est partie à Cizre. Une ville terriblement bombardée ces derniers mois. La délégation s’est retrouvée bloquée à un check-point. L’armée a interdit tout rassemblement dans cette ville. Et tout accès. Avec des troupes lourdement armées. Ceux qui voulaient y fêter le nouvel an kurde ne le pourront pas.
Olivier Bertrand des Jours, arrive lui à rentrer dans la ville. Après des heures de marche en montagne pour contourner l’armée. Et raconte l’ambiance lourde à Diyarbakir et Cizre.
Rencontre avec un journal militant qui compte ses morts
Retour sur Diyarbakir. Je passe devant des immeubles mitraillés en compagnie de Thierry Lamberthod, d’Amitiés Kurdes Lyon. Et de l’équipe des relations internationales du Parti de Gauche (Djordje Kuzmanovic, Corinne Morel-Darieux…) qui sont aussi de la délégation. Je rencontre le seul quotidien national rédigé en kurde : Azadiya Welat. Un moment improvisé mais on fini par trouver un journaliste qui parle quelques mots d’anglais. La rédaction est dans un immeuble qui abrite aussi une société de cours de kurde, une agence de presse, bref tout un petit monde militant culturel, politique et régionaliste.
C’est un journal avec un tirage faible que Azadiya Welat . Environ 10 000 exemplaires, ce qui vient aussi du fait que, après des années d’interdiction, peu de gens parlent et lisent réellement le kurde. Ce qui explique d’ailleurs que sans doute mes interlocuteurs aient du l’apprendre en lieu et place d’apprendre l’anglais. La ligne de la publication est évidemment proche de toutes les mouvances pro-kurdes, comme en témoignent les reportages sur les groupes politiques, armés ou non, et les événements culturels. Journal d’abord et avant tout militant, Azadiya Welat a plusieurs fois été interdit et des membres de son personnel emprisonnés. Et certains de ses journalistes assassinés, comme en témoignent une salle avec les portraits des disparus.
Une salle très, trop, encombrée.
Discussions avec le député Ziya Pir
Quelques centaines de mètres plus loin, autre bâtiment. Un lieu très chargé. Permanence, lieu de vie, de rencontres, de demandes, de doléances, de militance. Le local du HDP de la ville. Le HDP est l’une des organisations qui nous a invité: c’est un parti national, même si il possède une forte base kurde, et qui se réclame d’une sensibilité de gauche, écologiste, féministe et progressiste. Il est parfois comparé à SYRIZA mais est aussi membre, comme son concurrent plus centralisateur, le CHP, de l’Internationale Socialiste.
Ziya Pir, qui m’accueille, est économiste et entrepreneur. C’est l’un des 10 députés au parlement d’Ankara de la région de Diyarbakir. 9 d’entre eux sont HDP, 1 est membre de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir.
Ziya travaillait en Allemagne lorsque le HDP est venu lui proposer de se présenter. Député d’une région à forte densité kurde, ayant eu dans sa famille des membres du PKK (parti des travailleurs du kurdistan, organisation marxiste armée interdite), le député Pir n’en est pas moins turc. Et souhaite que son parti s’adresse au plus grand nombre de régions, de confessions et de couches sociales. Pour un jour gouverner la Turquie. Je l’interroge sur le PKK et le rapport avec son parti. Pour lui le HDP est aussi un moyen de tenter de mener de façon pacifique une lutte qui a fait beaucoup de morts et déplacés dans la région.
Ce qui n’est pas toujours facile puisque plus de 400 attaques ont été subies pendant les élections par ce parti. Ce qui n’est pas toujours facile puisque la répression de l’Etat est forte comme en témoignent les bombardements sur de nombreuses villes, les arrestations, les pressions sur les Maires et Députés de la région. Ce qui n’est pas facile aussi quand la voie armée a été si longtemps la lutte privilégiée.Aujourd’hui il est vrai que tous les mouvements que j’ai croisé demandent officiellement la paix. PKK compris, même si certains kurdes semblent trouver que la stratégie de tension a trop duré. On prend congés du siège du HDP. A l’entrée trône une photo d’Ocalan, que certains comparent à un Mandela du Kurdistan. C’est le chef emprisonné du PKK et, pour beaucoup, le symbole de la résistance à l’Etat Turc. « Leurs sympathisants sont aussi nos électeurs » me dit le député Pir.
Un monde de tensions
Le PKK négociait d’ailleurs avec l’État avant que l’AKP ne mette fin aux discussions cet été, pour rallier les ultra-nationalistes du MHP et gagner les dernières législatives. Ce qui était demandé par les mouvements kurdes n’était pas l’indépendance mais juste un peu plus de pouvoirs aux communes. Depuis Erdogan a considérablement durci la repression contre les mouvements kurdes. Allant jusqu’à bombarder des quartiers entiers, interdits depuis à la population pour certains d’entre eux. Allant bombarder aussi ceux qui se battaient contre Daesh en Syrie. Un Daesh soutenu un temps (et qui sait toujours ) par le gouvernement turc. Un gouvernement turc réélu pourtant largement du fait de ses excellents résultats économiques.
Difficile en quelques jours de se faire une opinion d’une situation complexe. Surtout vue d’une délégation organisée en des temps de tension forts. Une délégation composée d’associations de soutien au kurdistan mais aussi de responsables nationaux du parti de gauche, du NPA et donc de moi-même. Une délégation invitée par le HDP et diverses organisations proches. Une délégation où nous avons vus des dégâts, des oppressions mais où nous n’avons eu qu’une vue forcément partielle des choses. Reste que la politique a ici un goût différent de l’Europe. L’engagement, la violence, la répression, la révolte sont très présentes. Et le danger. Puisse derrière tout cela venir une turquie plus respectueuse de ses minorités. Et une société débarrassée de cette peur et de cette violence qui la gangrené. C’est ce que semblaient d’ailleurs vouloir mes hôtes, je l’espère avec sincérité.