On est le 25 mars aujourd’hui et nous sommes en 2001. 15 ans déjà. Il est vers 20h et les bureaux de vote ont fermé. Il flotte un étrange parfum sur la ville. J’ai quelques kilos et presque un tiers d’âge en moins. Moins de sel dans les cheveux.
Depuis des semaines la campagne municipales a battu son plein. Depuis un siècle et depuis Augagneur il n’y a pas eu un socialiste Maire de Lyon. Pas un. Un siècle exactement. La ville est un solide bastion de droite: tous ses députés sont régulièrement RPR ou UDF. Ses arrondissement sont longtemps tous bleus, même si 1995 amena quelques traces de couleurs plus progressistes dans les 9e, 8e et 1er arrondissements.
La Guillotière vote à 65% à droite. Il n’est pas, jusqu’à quelques années auparavant, les aujourd’hui très à gauche pentes de la Croix-Rousse, qui ne soient acquises aux forces du camp conservateur. Et la ville de droite se situe dans un Grand Lyon à droite bien entendu. Même si Raymond Barre a ouvert son exécutif à quelques élus de gauche dont Gérard Collomb.
Il n’y a pas de velov, pas de berges, de Nuits Sonores, pas de Tour Incity. Un ancien Maire, Michel Noir a bouleversé la ville en…éclairant les bâtiments publics. Ce qui est certes une bonne chose mais laisse apparaitre en creux l’ennui existant en ville. Il n’y a, en dehors des quartiers centraux, pas grand chose à faire. Dans le 7e, les rares bars ferment à 19h, les lieux culturels sont aussi rares qu’un propos sensé de Morano et le choix en restaurants aussi réduit que le bonheur dans une nouvelle de Maupassant. La Croix-Rousse en son plateau est un quartier plein de richesses mais bien trop cachées. La presqu’ile se partage entre ses quartiers fermés et ses litanies marchandes. Ca n’a pas tellement changé cela. Enfin, sauf sur sa pointe sud. Qui n’est pas encore Confluence et sa vie nouvelle. Mais qui est pour l’instant en 2001 triste et oubliée. Seules les pentes amènent un peu de fantaisie dans une ville réputée à ce moment être endormie. Dans lequel on ne peut pas s’intégrer. Dans lequel, du collège des Chartreux à la tombe on garde les mêmes amours, les mêmes amis, la même sociabilité sans quel nul ne vienne troubler cet ensemble.
On est lyonnais parce qu’on est né à Lyon depuis plusieurs générations. Les classes sociales se mélangent peu. Les élites sont d’un traditionalisme affligeant. On est lyonnais un peu par hasard. On ne le revendique pas. On en a un peu honte. Il parait qu’on s’ennuie tant en ces temps à Lyon selon la réputation que nous avions. On est, en ces temps, complexés par Paris.
Quelques années avant, mon ami Denis Trouxe, alors Adjoint à la Culture de Raymond Barre provoquait un scandale absolu au théâtre des Célestins: d’abord il avait supprimé le principe du siège de théâtre privatisé à vie et cessible aux héritiers. Scandale dans la bonne société. Et puis il avait demandé à ce que des créations lyonnaises soient aussi programmées. A l’époque, à part dans l’édition, il était fort mal vu à Lyon d’être un artiste lyonnais quel que soit la discipline…
Il est vers 20h. Et la permanence de la place Bellecour est noire de monde. Des anciens, des ralliés. Des curieux. Et puis les résultats tombent. Le début de quinze ans de changements. Même si il reste à faire. Encore. Toujours. Et des élites frileuses et conservatrices.
Quinze ans de changements comme Lyon n’en avait pas connus. Portés bien sûr par les lyonnais. Par les évolutions sociales, culturelles et économiques. Par le numérique, qui ouvrit tant de choses dans cette ville avant fermée. Mais beaucoup, beaucoup d’abord par ce 25 mars là. Qui fit de Gérard Collomb le Maire des lyonnais. Amenant notre cité à s’améliorer, à être plus douce à chacun. La faisant sortir de son anonymat. La rendant, enfin, fière d’elle.