J’ai mis un post, là sur Facebook pour pleurer.
Rocard est mort.
Et les icônes tristes s’accumulent en réaction. Des gens qui ont vu l’action de Michel Rocard et sa réflexion, qui ont été rocardiens à différents moments. Ou pas. Des gens de gauche. De droite. De nulle part. Qui avaient de l’estime. Qui étaient parfois loin sur le papier avec Rocard.
Michel rassemblait. Loin à gauche sur la décentralisation du pouvoir, le tiers-mondisme, le temps de travail. Loin ailleurs sur l’entreprise, l’innovation. Partout. Rocard et son destin militant. Sa deuxième gauche, libertaire et européenne.
Etre rocardien c’était quelque chose. Moi je suis devenu rocardien à 19 ans au détour de l’UNEF-ID, au détour de la section du 7e qui en était ensuite une place forte.
Je le suis resté. Toujours. J’en parlais il y a quelques jours. Alors dans que le Point Michel donnait ce qu’il ne savait pas être sa dernière interview. Il évoquait le poids des souverainistes qui flinguent l’Europe, l’absence de culture politique chez Valls et Macron, le côté réac de Mitterrand, les frondeurs qui sont dans un autre monde, la France pays inégalitaire, lafragilité de trop de start-ups en France, la centralisation folle du pays, l’absence de courage des opinions publiques sur les réfugiés, les poids des faits divers dans l’actualité etc…
A vingt et quelques années, j’étais à Lyon à la tête d’un petit groupe de jeunes rocardiens dans les jeunesses socialistes. Tu étais encore rocardien dans un MJS dominé par Benoit Hamon, qui avait commencé sa carrière dans l’ombre de Michel avant de le planter, tu étais un peu l’ennemi juré. On avait le droit de te faire n’importe quoi, d’utiliser toutes les armes mêmes intimes. Il fallait avoir le coeur bien accroché.
D’autant que les rocardiens du Rhône et de France que je rencontrais, dans ces fins d’années 90 où Michel s’était déjà grandement retiré du jeu, étaient généralement des gens peu sympathiques et avares en soutien.Oh je peux même le dire, je crois ne pas avoir croisé un chef rocardien local qui ne soit pas, je pèse mes mots, quelque peu un sale type. Préoccupé d’utiliser l’image de Rocard pour faire carrière en utilisant le travail d’autrui. C’était un peu pareil au MJS où beaucoup de ceux qui s’en réclamaient n’étaient pas toujours des gens biens.
Aujourd’hui je vois des larmes de crocodile s’étendre sur les réseaux sociaux.Mais, parce que ça fait bien, qui rend hommage aujourd’hui. Avant de me dire qu’il y avait trop fort à faire. J’en ai taclé un. Un alimentaire, le coeur loin des convictions, le corps proche de l’assiette. Un responsable de fédération qui disait que un bon rocardien c’était un rocardien mort. Et les harcelait, y compris jusque dans leurs vies personnelles. Bientôt comme le disait un autre ami, même Mélenchon sera rocardien. D’autres sont plus sincères et sans cacher leur différence parfois avec lui, rendent un hommage plus sincère. Ils sont de gauche, de droite. De partout. Là encore.
Parce Michel Rocard faisait quelque chose de trop peu valorisé aujourd’hui en politique : il pensait.
Mais ce n’est pas le moment, comme me le disait à juste titre Olivier Tronel, pour tomber dans la médiocrité. Y’en a trop de la médiocrité. Y’a trop de médiocres. Pas assez de gens biens. Surtout quand il meurent les gens bien.
L’Europe, faire ce qu’on dit, être ce qu’on dit en politique. C’était Rocard. Faire des erreurs et utiliser celles-ci pour progresser. Penser au social tout comme au sociétal. Décoloniser, dans le Monde et en France. Penser l’économie, son dynamisme. Et puis l’injustice du capitalisme. Sans ramener au totalitarisme du trop d’Etat. La liberté sans l’oppression des plus forts. Que ce soit le marché ou les gouvernants.
Putain en fait je sais pas résumer Rocard ! C’était trop. Si il y avait eu d’autres choses, d’autres moments, d’autres occasion, plus d’espaces à droite sous la 5e République, on aurait peut-être Rocard au lieu de Mitterrand.
Michel Rocard était passionné et sincère, dans une période où l’on parle de tous pourris, tous pareils. Il parlait aussi de spiritualité, de laïcité, de protestantisme. Il s’intéressait à un peu tout. Jamais par hasard. Toujours en avance. Pour moi qui lui ai parlé quelques fois, j’ai toujours été surpris par la simplicité avec laquelle il expliquait les choses complexes. Moi je cherchais une chose intelligente à lui dire.
Il n’y a rien de plus admirable que de servir l’intérêt général et de consacrer sa vie au bien de tous, à ce qu’on pense être le mieux pas pour son bien personnel mais pour des millions d’êtres humains, de notre patrie comme de notre planète. Des générations qui viennent. De gens qui sont là, à espérer, à construire. Rocard était comme cela.
Ce soir je pleure. Une boussole, une conscience morale dont je suis l’ombre depuis 20 ans.