Il manquerait, paraît-il, 10 milliards d’euros au Grand Paris pour se réaliser. On l’a appris il n’y a pas longtemps. Ce n’était pas au Conseil de la capitale ni à celui de l’Ile-de-France mais à l’Assemblée nationale qu’on l’a su.
Certes, dans ce célèbre projet de Grand Paris, ce seront les collectivités locales qui auront beaucoup été à la manœuvre. Mais il aura fallu l’impulsion de différents gouvernements centraux et des députés de la nation. Un secrétaire d’Etat, Christian Blanc, aura même été nommé spécialement sur cette question.
La réforme de l’organisation du territoire de la région parisienne démontre une nouvelle fois une dialectique serrée et surtout privilégiée par rapport aux autres avec l’Etat central, qui lui accorde attentions et moyens. L’argent et la décision étatique au profit de l’Ile-de-France. Pas grand-chose de nouveau.
Une continuation en quelque sorte du vieux jacobinisme national, qui considère qu’il y a deux classes de citoyens à organiser : celle de Paris et celle du «désert français», selon l’expression d’un vieil ouvrage de Jean-François Gravier. Un pays dans lequel certaines professions, certains niveaux de responsabilités ne sont accessibles que dans une unique métropole du pays. Son coût s’établirait à quelque 30 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 50 % par rapport aux prévisions initiales (20,5 milliards d’euros). Essentiellement financés par l’Etat donc les impôts de l’ensemble des Français, quelle que soit leur situation géographique dans l’ensemble national. L’Ile-de-France, tel le monde imaginaire de Terry Pratchett, avance à un pas lent et lourd de pachyderme. Malgré la bonne volonté de chacun.
Ailleurs, dans d’autres territoires de la république, ce sont les acteurs locaux qui prennent en main leur destin, sans attendre forcément des feux verts étatiques, en devançant souvent la loi à venir, dans des territoires de tous bords politiques.
Il y a d’abord l’Alsace, où les conseils généraux du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et le conseil régional vont fusionner. Rien d’illogique sur un territoire à forte identité culturelle, dans la région qui comporte le moins grand nombre de départements en France métropolitaine. Il n’y a eu ici nul besoin d’intervention de l’Etat pour que les forces vives locales, certes toutes du même camp dans la république, s’entendent pour donner une plus grande cohérence à leur territoire.
Dans la région lyonnaise, c’est à un accord entre des forces adverses que nous assistons puisque l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Michel Mercier, président du conseil général du Rhône, et le maire socialiste de Lyon et président de la communauté urbaine, Gérard Collomb, se sont mis d’accord pour une organisation nouvelle du territoire et surtout la première eurométropole, qui disposerait de compétences très élargies. Dans une région lyonnaise qui multipliait les échelons, c’est une véritable évolution : un habitant de Lyon voyait se superposer un immense mille-feuille comprenant l’arrondissement, la ville, la communauté de commune, le département, la région, l’Etat, l’Union européenne… Ouf. Restera à penser toutefois le rapport à la région. A la proximité. Et surtout celui au citoyen. Dans un pays focalisé, on l’a dit, autour de sa seule jambe parisienne alors que les Italiens, les Allemands, les Espagnols, les Portugais, etc. peuvent compter sur un pays pluripolaire, c’est une véritable révolution.
Lyon, c’est environ 500 000 habitants, et c’est la troisième ville française, au sein de la seconde agglomération du pays après Paris. Au Royaume-Uni, elle ne serait que septième. En Allemagne, quatorzième, derrière Hanovre ou Leipzig. Avec des pouvoirs renforcés, une métropole, qui, dans un premier temps, compterait plus de 1 million d’habitants, à la hauteur de Munich et largement au-dessus de Birmingham, seconde cité britannique derrière Londres.
Lyon, aujourd’hui, se retrouverait à pouvoir jouer, en population mais surtout en attractivité et en dynamisme, dans le concert des métropoles européennes. Il est à noter que la production de richesse par habitant est supérieure de 40 % à la moyenne nationale de leurs pays dans les agglomérations du monde supérieures à 1 million d’habitants.
Et la France pourrait ne plus être ce lieu sempiternel où Provinciaux et Parisiens s’invectivent et où il n’existe aucun salut pour nombre d’activités, une fois franchies les frontières d’Ile-de-France.
Sans nul doute il faudra clarifier les modes de désignation et d’élection de ces grands ensembles, qui se doivent d’être les plus démocratiques possible. Et puis penser que cette nouvelle organisation peut être un mode de résolution des formidables inégalités qui existent à l’intérieur même des territoires urbains. Et enfin réfléchir à la nécessaire proximité avec le citoyen. Sous quelle forme ? Commune ? Ou plutôt ces grands arrondissements que l’on peut voir à Séoul, à l’instar du désormais rendu célèbre musicalement quartier de Gangnam.
Nul doute alors que des capitales régionales ouvertes sur le monde comme Lille, Bordeaux, Toulouse ou Marseille suivront. Pour un pouvoir plus proche des citoyens et une simplification administrative profitable à tous. Et qui sait ? Paris peut-être aussi y viendra…
Paru ce jour dans Libération