L’affaire de la petite Agnès, collégienne disparue et donc le corps a été retrouvé brûlé me touche. D’abord bien sûr comme être révolté par la barbarie humaine, qui s’en prend souvent aux plus faibles. Mais aussi comme ancien éléve de l’établissement où s’est déroulé le crime: Le collège et lycée Cévenol au Chambon-sur-Lignon.
Il n’y a pour l’heure aucun coupable avéré (ajout de ce soir le présumé coupable a avoué) dans cette horrible histoire même si certes la police interroge un suspect principal. Je souhaite donc toute réussite aux forces de police de la République pour déterminer le responsable.
Cette affaire, derrière son horreur, me rappelle, à titre purement personnel, un présent et un passé.
Un passé, collectif, à savoir que le Collège Cévénol fut fondé par le pasteur Trocmé en 1938, juste avant la seconde guerre mondiale. Un passé qui fera que dans cette terre fortement protestante, victime autrefois des persécutions catholiques du pouvoir central, on cachera dans les années suivantes, de nombreux enfants juifs face au pouvoir de Vichy, tout proche. C’est par dizaines, par centaines, que des « anciens testaments », nom de code des israélites ainsi protégés, furent sauvés par ce village de la Haute-Loire pendant que le reste de la France fermait trop souvent les yeux, collaborait trop fréquemment.
A la Libération, les familles des persécutés et l’équipe pédagogique décidèrent d’un projet: créer un établissement différent, ouvert à toutes les nationalités, avec une pédagogie différente. Un campus fut créé, avec des bâtiments divers, une cantine, un gymnase, un bois… Il n’y avait, il n’y a pas de murs. Dans les années 60, le lycée est ouvert sur l’environnement immédiat, la pensée protestante dans son aspect de liberté. Cette pensée, que je ne verrais pas pendant ce séjour tant elle est rouillée en ces lieux, qui me séduira des années plus tard à Lyon, entrainant ma conversion.On y formera par exemple le philosophe Paul Ricoeur.
Son entrée dans l’Education nationale en 1971 change quelque peu la philosophie du lieu, les professeurs, le recrutement sont un peu moins différents, sa sociologie change.
Le lycée et le collége (à partir de la 4e) acceuillent alors de plus en plus d’éléves français en difficulté de tous horizons (le modèle restant le fils ou la fille de famille aisée qu’on veut cacher lors des diners mondains) et de fils et filles de potentats africains, en plus des locaux. Sa pédagogie et sa philosophie particulière se trouvent quelque peu diluée, même si quelques familles protestantes, soit très avancées, soit ayant des enfants en difficultées y scolarisent un peu leurs enfants en internat. Ah j’allais oublier: on y trouve beaucoup d’enfants de français des classes moyennes expatriés à l’étranger…
Je n’aurais jamais du croiser cette école. Je n’étais pas protestant à l’époque, le séjour qui suivit ne m’incita pas plus à la religion. Mais il se trouve qu’à quinze ans, à un lycée français du Cameroun, à Douala, j’étais un élevé dont l’évaluation était médiocre. Bien pire qu’un élève médiocre, un élève médiocre fils de profs exerçant dans l’établissent où j’étais alors scolarisé. Encore pire un jeune garçon français qui trainait parfois avec des africains non scolarisés dans l’établissement, entrainant parfois des pressions sociales sur ma mère et mon père… Imaginez donc. Les français d’Afrique, si il ne sont pas la caricature qu’en font certains extrémistes, comportent leur lot d’imbéciles racistes.
On m’arrache donc à Douala, on m’envoie dans ce bahut, dans une zone de France où je ne sais rien, où il neige six mois par an. On transforme ma quinzaine vacances de Noël dans une mère patrie de plus en plus éloignée de mes envies africanistes, pour me déposer à l’année dans cette Haute-Loire peu agréable.
La plus grand chose du généreux projet protestant du pasteur Trocmé. On s’ennuie. La drogue, l’alcool sont un pis aller à l’ennui. La petite délinquance aussi. Des enfants de 16 ans apprennent à bouillir du cru pour le boire. Des élèves fracturent l’infirmerie pour y boire l’alcool à 90°, certains cambriolant la cantine, par vice ou pour améliorer l’ordinaire.
Nous ne sommes pas dans une ZEP, loin de là, s’y croisent des enfants de ministres africains, de la bourgeoisie de Versailles. On y trouve aussi des familles populaires de la région et puis des enfants, issus comme moi des classes moyennes, mais dont les parents sont à l’étrangers pour la République. Il y a aussi à cette époque Laurent Wauquiez, dont je n’ai pas souvenir et qui ne doit pas avoir souvenir non plus de moi. ‘(ajout du dimanche soir: aucun souvenir ce qui est logique puisque c’est par erreur que son nom a été glissé dans une liste d’anciens éléves)
On y voit aussi des bagarres raciales, des pousses de dictateurs s’y prôner tiers-mondistes, du vol. Des drames humains lourds aussi.
J’y passerais deux années à osciller entre lectures, rap, Malcolm X, Martin Luther King, football et surtout ennui et envie de décès anticipé. A 15 ans. A 16 ans. Un souvenir de brumes et de glauques, de petites misères financières pour ma part, dans un monde pourtant riche, et de manque d’intérêt. Les années du collège Cévenol, dernières lueurs de mon adolescence, sentent la réclusion et la haine du soi. Même si parfois de grandes figures y font escale, telle cette conférence d’Albert Jacquard, quelque peu perturbée par un groupe d’élèves djiboutiens lourdingues, qui ne souhaitaient pas qu’on non-musulman puisse parler d’Islam…
L’affaire du drame subit par la malheureuse Agnés, fait un peu ressurgir tout cela. Si le criminel s’avère être un élève de l’école, nous touchons là le fond de l’histoire du Chambon, un lycée cherchant la liberté et la réhabilitation de l’homme mais n’arrivant plus, contrairement à il y a maintenant quelques dizaines d’années, par l’éducation, à retrancher la bête de l’homme, se contenant de la concentrer dans les montagnes de Haute-Loire… Paix soit sur toi pauvre petite Agnès.
Billet repris par Rue 89