Jeannette Bougrab a mis un coup de pied dans la fourmilière hier avec un certain nombre de déclarations au sujet de la victoire des islamistes dans les pays du Maghreb. Signe d’une cacophonie dans le gouvernement.
« Je ne connais pas d’islamisme modéré ».
« Il n’y a pas de charia light. Je suis juriste et on peut faire toutes les interprétations théologiques, littérales ou fondamentales que l’on veut, mais le droit fondé sur la charia est nécessairement une restriction des libertés, notamment de la liberté de conscience »
« je ne suis pas ministre des Affaires étrangères. Je réagis en tant que citoyenne, en tant que femme française d’origine arabe »Les présidents tunisien et égyptien
« Mais il ne faudrait pas tomber dans l’excès inverse. Moi, je ne soutiendrai jamais un parti islamiste. Jamais. Au nom des femmes qui sont mortes, de toutes celles qui ont été tuées, notamment en Algérie ou en Iran, par exemple, parce qu’elles ne portaient pas le voile ».
Elle a aussi parlé du fait que les Tunisiens de France avaient donné leurs voix en priorité aux islamistes. « Je trouve choquant que ceux qui ont les droits et les libertés ici aient donné leur voix à un parti religieux »
« Je pense à ceux qui, dans leur pays, ont été arrêtés, torturés pour défendre leurs convictions. On leur a en quelque sorte volé la révolution »
La chose a fait réagir, d’autant que Alain Juppé, ministre des affaires étrangères prône l’inverse. Une nouvelle preuve, après la Lybie, que le chef de la diplomatie ne sait pas se faire respecter sur ses dossiers.Mais revenons au sujet.
Une telle intervention peut agacer dans les pays du Maghreb qui pourraient sentir le vent de l’ingérence. Même si Bougrab parlait en son nom propre, l’amalgame avec sa fonction de membre du gouvernement français se fait forcément. Dommage mais ce sentiment d’une ingérence dans les affaires nationales est logique.
Autre élément, même si un islamiste reste un islamiste, c’est à dire un type à faire passer Claude Guéant pour un aimable baba-cool en comparaison, obsédé par la pureté, ne pas faire du tout de distingo est dangereux dans la situation actuelle et ne correspond pas non plus à une réalité. En Tunisie d’ailleurs, les partis laics engagés dans une négociation sur la future constitution avec les islamistes d’Ennhada ont été agacés par les propos de la secrétaire d’Etat, qui délégitime leur démarche de travail, à l’image de la socialiste Karima Souid, de Vénissieux, représentante des tunisiens du sud de la France à l’assemblée constituante. On la comprend, créer une Tunisie nouvelle est déjà assez compliqué sans qu’on vienne lui gacher la vie. Même si on aurait préféré que les progressistes puissent s’entendre davantage pendant les élections. Et que Bougrab n’a pas tort lorsqu’elle pointe le vote paradoxal des tunisiens de France pour les islamistes…
Autre point, mettre tous les islamistes dans le même sac ne correspond pas à la réalité. Déjà parce que pour prendre l’exemple de l’Egypte, il risque d’y avoir des représentants de cette tendance à la fois dans la majorité et dans l’opposition puisque les frères musulmans risquent de préférer une alliance avec les laics à une majorité faite avec les radicaux, avec lesquels ils sont en concurrence et avec lesquels ils ont des désaccords par exemple en politique étrangère sur les rapports avec l’Arabie Saoudite. Il ne faut donc pas tomber dans l’approximation.
Mais Bougrab a raison sur un point. Il est en effet surprenant de voir certains commentateurs faire soudainement des Fréres Musulmans, islamistes, un rempart pur et fier contre le radicalisme. Même si, élus légitimement par une société egyptienne dont on peut s’interroger sur l’état de santé, il faudra donc sans doute discuter avec. Et qu’on ne voit guére Bougrab, dont le gouvernement est engagé en Afghanistan, refuser de parler de nuances, lorsque les services français discutent avec les islamistes dans les villages et villes afghanes.
Dernier point: la récupération des révolutions par les islamistes. Oui les islamistes sont sans doute les bénéficiaires injustes de ces révolutions. Oui ceux qui ont exposé leur vie, ont été torturés, ont sans doute à rogner leur frein du choix de leurs concitoyens. Mais ainsi en est-il de la démocratie: le choix populaire et ses raisons peuvent se discuter, leur résultat ne se discute pas. Et puis, encore une fois Bougrab simplifie un peu:
Au Maroc, loin d’être séparés, manifestants progressistes et militants de l’aile la plus radicale de l’islamisme mêlent leurs actions. En Tunisie, si Ennhada bénéficie d’une révolution qu’elle n’a nullement initié, les partis issus de l’après Ben Ali ont de nombreux représentants au parlement mais se sont divisés. C’est sans doute en Egypte que les choses sont les moins justes pour les manifestants. Même si les gens de la place Tahrir avaient le soutien, pas forcément réclamé d’ailleurs de leur part, de toutes les branches mondiales de la confrérie des fréres musulmans. Et que leurs militants égyptiens ont aussi pris part aux manifestations. Bref Bougrab est un peu dans l’erreur là aussi. Même si son inquiétude et son agacement peuvent parfois se comprendre, si sa défense de la laïcité et des droits de la femme sont louables. Mais parler de sujets délicats n’empêche pas la rigueur.
Billet repris en une du Plus du magazine le nouvel obs