Qu’est-ce qui t’as fait te lancer en politique ?
Lyon a une longue tradition de médecins, souvent hospitaliers, engagés dans la cité. Gailleton, Augagneur (note: Maire jusqu’en 1901, dernier premier magistrat de Lyon socialiste jusqu’à Collomb exactement 100 ans plus tard) sont des exemples connus. En fait lorsque tu te retrouves à soigner les gens, à l’intérieur du système de santé, tu te poses des questions sur la société, tu as envie d’apporter ta pierre à l’édifice.
Et cela s’est traduit comment concrètement ?
J’ai adhéré au comité de soutien de Mitterrand en 1981 et 1988. J’étais à ce moment déjà de sensibilité socialiste mais non engagé dans le PS. Gérard Collomb, qui était candidat en 1989 aux municipales souhaitait faire une certaine ouverture à la société civile…
Déjà à l’époque…
Oui mais tout de même dans une mesure bien moindre qu’aujourd’hui. Il voulait m’emmener sur sa liste dans le 9e mais j’ai préféré mener la liste dans le 8e. Christian Coulon qui devait à l’origine être 1er de la gauche dans l’arrondissement m’a laissé la place avec une rare élégance. J’ai donc au départ fait ma première campagne en tant que représentant de la société civile. Comme l’histoire le sait, nous avons tous remarquablement fini comme élus…d’opposition à Michel Noir qui avait fait la campagne avec le succès que l’on sait.
Et tu t’es intégré rapidement à cet univers qui au départ n’était pas le tien ?
Oui, les choses se sont faites naturellement. On avait fait une campagne, qui bien que perdue, a été fort sympathique. Quelques mois plus tard je deviens membre du PS du 8e arrondissement je m’y suis senti bien, même si l’un de mes premiers congrès fut celui de Rennes au début des années 90. Célébre pour la pagaille qu’il engendra, il m’avait effrayé par sa division des socialistes.Là sur les échéances internes qui viennent, j’ai signé comme toi La Ligne Claire de Gérard Collomb et j’ai proposé une contribution sur la_sante pour apporter ma pierre à la réflexion de la gauche dans ce domaine.
Ça date de quand ta sensibilisation à la gauche? C’est familial ? Ou c’est comme moi ça n’a rien à voir ?
Comme toi je viens d’une famille qui n’est pas de gauche. Mon père était élu dans notre commune, Maire, et il était membre de l’UNR, le parti gaulliste, principale organisation de droite de l’époque. Il se considérait comme gaulliste « de gauche », avait eu des sympathies pour le PCF étant jeune mais avait clairement des valeurs de droite. D’ailleurs on sait que les gaullistes de gauche se sont fait avoir, n’ont pas pu peser…René Capitant, Louis Vallon, tous ces gens là n’ont pas pu peser ni n’ont réellement amené à une vision de progrès de notre société.
Moi j’ai une vraie estime pour Philippe Dechartre, pas seulement parce qu’il avait appelé à voter pour Mitterrand au deuxième tour des présidentielles de 1981. En fait j’ai un rapport un peu bizarre avec le gaullisme. Ma grand-mère maternelle était très engagée dans ce mouvement et c’est assez amusant car aujourd’hui, alors que je suis social-démocrate, girondin et fédéraliste européen, bref le contraire de ce qui était porté par le Général (quoi que le référendum de 1969…) et pourtant il y a quelque chose, un certaine fascination pour cette tradition politique abîmée par Chirac, déviée trés à droite par Pasqua puis définitivement détruite ou presque par Sarkozy. Il faut dire que cette grand-mère m’achetait des livres sur De Gaulle, était très motivée par ça.
C’est vrai que nous sommes tous deux des convertis (rires)…
Oui sans dénigrer les gens de gauche qui ont des parents ou des milieux en général de ce camp, c’est souvent un chemin de réflexion supplémentaire que sont amenés à emprunter ceux qui ont a venir à babord du champ politique. Toi tu t’en rends compte à quel moment?
En fait si tu veux pendant mes études de médecine je ne suis pas très politisé. En 1965 aux présidentielles, j’ai 20 ans et je n’ai pas de souvenir très précis de mes opinions. Je sais quand même que la guerre d’Algérie m’indigne et la mobilisation des jeunes français pour aller se battre à Alger, le conflit colonial, la torture, tout cela me déplait souverainement. En 1967, c’est déjà plus clair je vote à gauche, convaincu. Mon travail dans le domaine médical m’amène à me poser la question des inégalités devant la santé en fonction de sa fortune personnelle.
J’ai une question un peu complexe pour ta génération mais comment on passe, au cours de sa vie politique et intellectuelle d’un socialisme assez étatique et interventionniste finalement (sauf peut-être dans sa version « deuxième gauche » et rocardienne) à un engagement aujourd’hui plus basé sur la liberté individuelle et qui a beaucoup changé finalement en termes d’organisation du marché, de questions économiques, de vision…
C’est vrai qu’on est passé d’un PS de 1971 très basé sur la planification (mais n’oublions pas que les gaullistes et le reste de la droite de l’époque était aussi partisane du Plan) à quelque chose de plus basé sur l’individu. Je me demande si on n’a pas oublié d’ailleurs en chemin de se préoccuper un peu plus de la justice économique face à un libéralisme destructeur.
Tu ne penses pas justement que la droite n’est pas libérale mais simplement conservatrice des inégalités entre les hommes et que la gauche ou au moins une certaine gauche est en réalité un libéralisme ?
Là tu me fait du Delanoë…
Pas forcément. C’est bien qu’il ait abordé la chose mais maintenant la question du libéralisme est devenue un enjeu de congrès, ça vous pourrit le débat de fond. Je pense aussi qu’un texte comme la Ligne Claire porte aussi cette idée de liberté. Non, réellement, tu vois, je pense qu’un libéralisme conséquent c’est donner du possible à chacun. Ça passe par un système d’éducation conséquent pour donner à chacun la possibilité de choisir son destin, permettre aux petits business de ne pas être mangés par les gros…
Ton libéralisme n’est pas sans règles…
Si tu ne donnes pas un peu de règles à la liberté, tu finis avec un monopole privé. Le seul libéralisme durable c’est celui qui est quand même un peu régulé. Sinon tu tombes rapidement dans une dictature, un truc où le mec le plus fort et avec le plus de moyens armés va contrôler la vie des gens sans entraves et où une grosse boîte aura bouffé toutes les autres, se mettant en situation d’être seule. Un totalitarisme créé par le marché au départ mais qui amènerait à la mort finalement de la libre concurrence, une forme de suicide en fait.
Je vois le principe.
A propos de totalitarisme, comment la gauche non communiste gérait la question du totalitarisme soviétique ? Je veux dire, moi enfant, même si je n’avais pas forcément une idée très précise des choses ça me faisait peur la question de la dictature marxiste. Je pense même que, né avant, j’aurais pu à certains moment me retrouver à droite à l’époque, même si le PCF n’est pas Staline et n’a rien à voir aujourd’hui avec ce qu’il était.
Dans le milieu hospitalier j’ai croisé pas mal de communistes.
Oui c’est vrai qu’ils ont et encore plus ont eu une forte base chez les infirmiers.
C’est exact. Donc je croisais pas mal de militants du PCF. On sentait plutôt des gens épris d’égalité, un peu en retard sur certains sujets, parfois un peu sectaires mais qui étaient animés de bonnes intentions dans une société inégalitaire. A une époque, ils ressemblaient beaucoup aux gaullistes: même parti de masse, mêmes tentatives d’être partout, d’un certain entrisme, même centralisation et opacité du pouvoir… De Gaulle, premier responsable de gouvernement d’aprés-guerre, aux nombreux ministres communistes, l’avait bien senti.
Changeons de sujet. La première fois que tu gagnes une élection c’est en 1995…
Oui en 1995, aux municipales la liste de Collomb remporte les 1er, 8e et 9e arrondissements. Je deviens Maire du 8e. Auparavant dans l’opposition je me suis beaucoup battu contre le déplacement de l’Hôpital Edouard Herriot. Michel Noir voulait le déplacer loin en banlieue pour vendre les terrains à des promoteurs privés .J’ai combattu, avec le personnel de l’hôpital contre ce projet et on a eu gain de cause. De toutes façon le projet était très impopulaire chez les Lyonnais, notamment les personnes âgées. En 1995 je suis Maire du 8e donc et donc j’apprends la gestion d’une équipe de collectivité locale tout en étant dans l’opposition. Je deviens également Vice-président du Grand Lyon. Premières législatives, perdues face à Dubernard en 1997, puis on remporte la mairie en 2001.Là je deviens Premier Adjoint. C’est une victoire historique pour Collomb. Un moment fort pour moi, tout comme mon élection de député en 2007 où tu as joué un rôle important.
Gérard Collomb t’as d’ailleurs proposé d’être de nouveau Premier Adjoint après sa réélection de cette année. C’était pas forcément écrit d’avance qu’il allait te faire cette proposition un an auparavant. Tu as de plus la réputation de ne pas toujours avoir eu de bons rapports avec lui.
D’abord c’est Gérard qui est venu me chercher pour faire de la politique. Il me connaissait de réputation et j’avais signé les comités de soutien à Mitterrand pour les présidentielles. Au départ mon mariage est un mariage de raison. Ce sont d’ailleurs parfois ceux qui durent le plus ! (rires).On a pas le même tempérament, pas forcément la même sensibilité mais on est d’accord sur presque tout concernant la gestion de la Ville. Il y a quelques temps je me suis rendu compte d’ailleurs que j’avais désormais de l’affection et une vraie estime pour cet homme. Gérard a un côté intellectuel mais également c’est quelqu’un qui sait être proche des gens.
Oui il y a un côté intéressant à ça d’ailleurs. Il a une forme d’expression verbale qui se modifie, il est à l’aise…
Tout à fait. Donc voilà, même si on peut avoir des points de discussion, il y a vraiment accord sur la politique. Donc il m’a proposé d’être de nouveau son Premier Adjoint. Les choses s’étaient bien passées au dernier mandat. Il avait été content de la manière dont je gérais les choses quand il devait s’absenter de la Ville.
Comment vois-tu le mandat à venir?
Il va falloir faire dans la rigueur. Notre budget n’est pas extensible et comme tu le vois toi aussi dans ton travail d’Adjoint on nous demande de faire des choix. Gérard s’est engagé à ne quasiment pas augmenter les impôts du mandat.
Justement, certains commencent à dire que 4% sur 6 ans ce n’est pas assez pour nous laisser travailler sur des projets pour les Lyonnais, d’autant que le Conseil Général du Rhône UMP-UDF ne s’est pas gêné pour faire exploser les impôts locaux.
Dans une période où le pouvoir d’achat est bas, c’est compliqué d’augmenter davantage…Il va falloir aussi faire plus de choses basées sur la symbolique, sur la proximité, sur des bases efficaces et peu coûteuses.
Qu’est-ce qui t’as surpris lorsque tu es arrivé à l’Assemblée Nationale l’année passée ?
J’ai laissé pour m’en occuper, ma fonction de Vice-président au Grand Lyon. C’est un travail passionnant. Lorsque tu arrives déjà tu es marqué par l’histoire, le poids des grands hommes qui ont occupé les lieux. Ce qui te frappe c’est que tout est mis à ta disposition pour ton travail .Lorsque tu viens d’une municipalité, et toi tu le vois encore plus en arrondissement, il faut te débrouiller. Là tout est facilité. Autre chose c’est la rapidité avec laquelle les huissiers de l’Assemblée apprennent le nom et l’origine géographique des élus. Et puis le groupe socialiste, mais j’imagine que c’est pareil ailleurs, fait tout pour t’intégrer rapidement. Marylise Lebranchu, la questeuse et Jean-Marc Ayrault, le Président du groupe, sont vraiment à l’écoute. Et contrairement à une idée reçue on fait rapidement parler les nouveaux élus en séance, afin qu’ils se mettent à l’aise.
Tu travailles beaucoup sur les questions de santé…
Tout à fait. On a un travail énorme dans ce domaine. Ce qui est étrange c’est que la droite soit souvent considérée comme bonne gestionnaire alors que malgré sa politique restrictive la sécurité sociale est en déficit constant. La dernière fois que le système de santé public a été en excédent c’était sous Jospin.
Tu ne penses pas que c’est un moyen de mettre la chose en faillite puis de dire « Regardez ça marche pas, il faut arrêter avec cette horrible sécurité sociale qui est un trou sans fond » ?
Tout à fait. D’ailleurs la majorité actuelle compte énormément de gens venus de l’assurance privée et qui pour des raisons d’intérêt personnel tendent à ce que la sécu se casse la figure pour pouvoir à long terme vendre des assurances à tout le monde. Ce qu’on ne réalise pas c’est qu’à coup de franchises on détruit petit à petit la solidarité en matière de santé. Payer un euro non remboursé pour une consultation généraliste ça n’a l’air de rien mais quand on est obligé d’y aller souvent ça peut commencer à coûter cher. Et on ne réalise pas que bien d’autres choses ne sont plus remboursées ou soumises à des franchises bien supérieures à un seul euro. Ainsi il y a des malades du SIDA qui doivent aujourd’hui débourser 1000 euros de plus qu’avant Sarkozy. Du coup, comme nombre d’entre eux ne peuvent travailler à cause de la maladie, ils arrêtent de se soigner par manque d’argent. Non seulement ils meurent alors rapidement mais en plus, comme ils ont commencé le traitement auparavant, ils développent une variété de SIDA bien plus résistante aux médications que le virus normal et le transmettent, retardant et aggravant la situation des malades et rendant la pathologie plus dangereuse encore.
D’ailleurs les crédits pour la recherche contre ce fléau sont en baisse…
Le gouvernement coupe des crédits dans la recherche contre le SIDA.D’ailleurs en France la recherche est mal fichue: on aide souvent ce qui est lourd et gros au détriment du reste, sans forcément aller à l’efficacité…
Ça, ça me rappelle le fonctionnement de la formation professionnelle opaque, on ne sait pas ce qui existe, on ne sait pas dire leurs droits aux chômeurs alors qu’il y a des besoins…
Oui la formation professionnelle est une vraie jungle assez scandaleuse dans lequel il est difficile de savoir quels sont les résultats obtenus. C’est assez scandaleux. Dans d’autres pays, tu es au chômage, on te dit ce que tu peux faire; comment, de façon simple et claire. C’est anormal qu’en France ça n’existe pas.
On dirait que les organismes de formation ne servent en réalité trop souvent qu’à faire vivre ceux qui y travaillent, même si certains font une action intéressante…
A propos d’emploi et de formation, je me penche sur la question des travailleurs handicapés. On est en retard en France, les entreprises préfèrent payer un impôt supplémentaire plutôt que d’embaucher ces personnes et les collectivités locales et l’Etat sont elles aussi loin d’être exemplaires.
Parlons un peu spiritualité pour finir…
J’oscille entre l’athéisme et l’agnostisme. J’ai pourtant fait le parcours habituel des gens de ma génération. Baptême catholique puis communion puis confirmation. Mais c’est plus par tradition qu’autre chose. Je suis entré en Franc-maçonnerie, au Grand Orient, sur le tard. Là on peut réfléchir à des thèmes philosophiques, spirituels ou de société sans que les enjeux viennent tout compliquer comme dans les organisations du monde politique. C’est une réflexion spirituelle et humaniste, dépourvue de nécessité de croire à une force supérieure.
Ça c’est une spécificité du Grand Orient au sein de la maçonnerie, qui rend optionnelle la croyance au Grand Architecte de l’Univers…
Exact. Dans cet univers maçon je suis heureux d’y voir un mélange de personnes et une fraternité entre les hommes ainsi qu’un travail de construction personnelle, d’édification de soi-même.
Merci Jean-Louis.