La question des Roms est traitée trop souvent de maniére passionnelle et idéologique. L’Etat est pris entre la nécessité de réguler des situations légales et illégales et la situation des personnes humaines. A l’heure où des évacuations de camps de squatts se déroulent (personne n’a d’ailleurs promis autre chose durant la campagne), j’ai demandé à Jules Praxis, qui travaille pour l’Etat dans les politiques d’hébergement et d’accès au logement dans la région lyonnaise, de bien vouloir faire une petite note sur le sujet. Celle-ci sera en trois parties: la première concernera le rôle de l’Etat, ses prérogatives et ses moyens.
1-Le rôle de l’Etat
Même après l’élection de François Hollande, les démantèlements des camps de « Roms » se poursuivent, suscitant la déception des associations de défense des droits de l’homme et de sympathisants / militants de la gauche radicale. C’est aussi l’occasion rêvée (et hypocrite) pour les élus UMP de pointer les contradictions de la gauche bien-pensante.
Sur un sujet aussi complexe, que je connais en partie – je suis fonctionnaire d’Etat et je m’occupe des politiques d’hébergement et d’accès au logement –, on m’a demandé d’écrire une note sur la situation.
Je précise, au préalable, que je suis tenu à un devoir de réserve et que je ne pourrais donc pas exprimer d’opinion personnelle ; je dois m’en tenir aux faits. Ils sont relativement simples : l’Etat n’est pas en capacité, actuellement, de répondre aux besoins immenses des populations « Roms ».
Il met pourtant de l’argent sur la table et peut agir dans deux directions : un soutien aux associations, sur des programmes ciblés, spécifiques, et la recherche d’un consensus au niveau européen. Ce n’est que par la combinaison de ces deux leviers qu’il parviendra à apporter un début de réponse à une situation douloureuse que l’on ne peut que déplorer faute de moyens.
La majeure partie des aides de l’Etat destinées notamment aux « Roms » s’exerce au travers de ce programme doté d’un peu plus d’un milliard d’euros chaque année (dont seulement une petite partie s’applique aux « Roms »). Ces aides peuvent être distinguées, schématiquement, en trois parties : l’aide sociale et la construction des aires d’accueil des gens du voyage, le financement des centres d’hébergement d’urgence, le financement d’actions innovantes (les villages d’insertion).
En ce qui concerne les aires d’accueil des gens du voyage, l’Etat finance les communes qui décident de s’équiper d’une aire d’accueil. Elles ne sont pas spécifiquement destinées aux « Roms » mais peuvent éventuellement leur bénéficier. L’Etat finance également un peu d’action sociale, comme les aides à la scolarisation des enfants « Roms ». Je ne développe pas plus, c’est une goutte d’eau (nécessaire) dans un océan de besoins (l’action 11, comprise dans le programme 177 est dotée de 65 millions d’euros par an).
La plus grande partie du programme 177 sert à financer les centres d’hébergement (un peu moins d’un milliard par an). Depuis la loi dite Molle de mars 2009, deux principes régissent l’accueil et l’hébergement des publics vulnérables : l’inconditionnalité et la continuité de l’accueil. Selon le premier principe, aucune personne ne peut être exclue d’un dispositif d’hébergement et ce quelle que soit sa situation au regard du droit. Quant à la continuité de l’accueil, il implique que personne ne peut sortir d’un centre d’hébergement s’il ne dispose pas d’une solution pérenne (logement adapté, par exemple).
C’est là où le bât blesse : on estime à un million le nombre de personnes sans-abri ou en situation de mal-logement (chiffre approximatif et pour lequel les sources manquent). Les centres d’hébergement ne parviennent déjà pas à répondre aux besoins de ces populations. En application du principe de l’inconditionnalité de l’accueil, les centres d’hébergement accueillent donc, en fonction des places disponibles, toute personne qui en fait la demande. Même si, et c’est le cas pour les « Roms » (que nous appelons, dans notre jargon administratif « les Européens impécunieux de l’est »), il ne peut exister aucune solution pérenne de relogement. La situation administrative de ces personnes leur interdit pourtant toute insertion sur le territoire de la République française. L’Etat, en l’état actuel de la législation, dépense beaucoup d’argent pour un résultat très médiocre.
Enfin, l’Etat intervient en finançant des actions spécifiques d’insertion, comme par exemple les villages d’insertion. C’est là sans doute un levier intéressant mais qui coûte énormément d’argent (27.000 € par famille et par an). Il s’agit de financer une association gestionnaire d’un tel village qui va travailler sur l’insertion des « Roms », une insertion qui comprendra à la fois des actions d’alphabétisation, d’apprentissage des règles sanitaires, de mise en situation de travail, etc.
Heureusement, pour l’aider dans cette tâche, l’Etat peut être appuyé par les collectivités locales, notamment pour compléter un financement qu’il n’a qu’en partie.
En résumé, il semble que les moyens dont dispose l’Etat français sont non seulement insuffisants (pour financer des actions d’insertion spécifiques) mais également inadaptés (la loi Molle doit pouvoir être revue, notamment parce que les principes qu’elle fixe sont en contradiction avec une politique d’insertion ciblée et efficace – l’enfer, on le sait, est pavé de bonnes intentions).
Après avoir fait le tour (rapide) des moyens dont dispose l’Etat, voyons quelle est la situation actuelle et pourquoi la majorité actuelle continue de démanteler des camps de « Roms ».