Depuis plusieurs jours, l’article 13 du projet de loi programmation militaire suscite des réactions indignées sur la toile.
Indignation tardive, même si je la partage, puisque le projet, comme le souligne d’ailleurs Brice Lacourieux, est à sa seconde lecture au sénat et est en cours depuis cet été. Et indignation s’adressant plus aux médias qu’à ceux qui votent la loi et sur lesquelles on pourrait pourtant peser.
Dans ce débat, les députés et sénateurs, certes loin d’être tous compétents en la matière, étant tout de suite cornérisés dans la zone de ‘ceux qui comprennent rien’ et donc avec lesquels on ne peut travailler pour qu’ils votent autre chose. Cette incompréhension entre les parlementaires et « l’opinion publique numérique » n’est hélas pas nouvelle même si je sens pour ma part des frémissements de progrès.
Sur le fond, oui cette loi comporte de vrais dangers. Pierre Col en parle très bien.Et, contrairement à d’autres, il a lu le texte. Attentivement. Et il a raison.
Mais ce texte comporte aussi, des avancées sur les libertés numériques notamment sur le cadre juridique de la géolocalisation. Et au cours du débat et du vote de la loi hier on a vu certains sénateurs, qu’ils soient ou non réellement au fait du sujet (c’est bien le problème) , se prononcer sincèrement pour le texte dans cette logique là.
Pourtant, ne leur en déplaise, l’autorisation de captage de données en temps réel sans l’aval d’un juge constitue une vraie juridiction d’exception. Et est inacceptable lorsque que nous lisons le texte qui a été voté hier par des sénateurs de droite et de gauche.
Le conseil national du numérique a bien eu raison de montrer ses réserves et de prôner une large concertation et davantage de réflexion sur un sujet si grave.
Pourtant lorsque l’on regarde le contenu de la loi et qu’on est utilisateur des services de Google, certaines similitudes sautent aux yeux: l’article 13 est déjà appliqué à un grand paquet d’internautes sans que grand monde trouve à redire. Nicolas Jegou souligne ce paradoxe:
L’heure est grave ! Il faut arrêter de dénoncer l’exploitation par des boîtes privées en étant encore plus scandalisés quand c’est l’Etat qui nous espionne. Il serait temps de penser à se mobiliser pour que les braves gens arrêtent de diffuser n’importe quoi. L’Etat peut suivre mes conversations par mail avec ma mère, ma famille et mes copains. Il apprendra que j’ai une mère, une famille et des copains. Par contre, s’il pouvait savoir quand des pédophiles, des terroristes et d’autres nuisibles agissent, ça pourrait servir à des causes plus nobles. S’il pouvait utiliser ça pour arrêter des trafiquants de drogue, d’armes ou de bière aux OGM, nous pourrions les bénir.
Oui Nicolas a raison, il faut aussi réfléchir aux données que nous diffusons.
Mais ayons aussi une réflexion sur les outils. Un exemple, un seul parmi d’autres:
L’article 13 amène à la modification de l’article L. 241-2 du code de la sécurité intérieure, envisageant « les interceptions de correspondances émises par la voie des communications électroniques ayant pour objet de rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous en application de l’article L. 212-1. »
Si vous avez une boite Gmail, c’est EXACTEMENT ce qui vous arrive déjà.
Sauf que vous remplacez la France par les USA. D’ailleurs l’usage de Gmail, qui est constamment surveillé par des scientifiques américains au nom des intérêts de leur pays, est désormais interdit dans tous les laboratoires de recherche raisonnables. Par exemple l’Université Lyon 1 a interdit l’usage de Gmail pour ces raisons. Ok on a le choix d’utiliser autre chose que Facebook ou le mail de Google mais la quasi-totalité des services grands publics que fournissent les géants US est soumise à des lois particulièrement strictes, encore plus dures que ce qui a été voté hier et depuis le Patriot act. Aux Etats-Unis les défenseurs de la liberté numérique s’en indignent d’ailleurs fortement. En France, même si des voix s’élèvent, on reste, comme le dit Denis Szalkowski, très naïfs. Tiens vous avez déjà vu un juge US vous passer un coup de fil avant de fouiller vos données stockées chez Google? Pas moi. Et personne. Pourtant chaque jour des internautes sont sujets à des examens des données concernant leur Gmail sans le savoir. Il est d’ailleurs amusant de voir Benoit Tabaka, qui représente aujourd’hui les intérêts de Google en France, s’opposer à l’article 13…
Alors faut-il, se dire « de toute façon comme on est espionné illégalement il faut légaliser ? ». Non. Mais attention: si cette loi est trop floue, trop large et donc à combattre, l’Etat français doit aussi avoir un cadre juridique pour mener des actions contre la pédophilie, les criminels, les trafics. Là aussi il est très surprenant de voir que certains semblent moins gênés d’intrusions pour des raisons marketing que pour sauver des gosses...On a un vrai problème en France des fois.
Reste que cette loi à laquelle je m’oppose moi aussi, est une survivance d’un archaïsme: deux univers voire trois, la défense, les parlementaires d’une part, l’opinion publique numérique d’autre part, n’ont pu se rencontrer sur le sujet, les premiers accouchant d’une loi vague et dangereuse. Les second devant s’inquiéter aussi plus souvent de leurs libertés (mais aussi de leurs responsabilités) et pas seulement quand c’est le vilain-méchant Etat qui s’en mêle.