Jérémy Corbyn : 10 questionnements après sa victoire

Un spectre planait sur le travaillisme : Jérémy Corbyn.Un spectre qui a fini par gagner au premier tour du scrutin pour désigner le leader. Entrainant une série de commentaires pas toujours bien informés en France.

Dans ce parti travailliste, qui, à part une parenthèse dans les années 80, fut toujours une force de centre-gauche. Plus inspiré par le christianisme que par le marxisme comme le disait si bien l’écrivain David Peace. Un parti plus marqué par la négociation syndicale et les droits immédiats des travailleurs que par les grands soirs. Un travaillisme qui, le premier en Europe, passera sous l’égide de Tony Blair à ce qu’on nommera la troisième voie ou pour certains le social-libéralisme.

Le Labour : un parti qui va du NPA à l’UDI

Il est difficile de qualifier sur le fond le Labour, tant, bipartisme oblige, il a de visages idéologiques. Mais pour faire simple ce parti de gauche irait en France de l’UDI au NPA.  Il existe dans le blairisme de l’association Progress beaucoup plus de liens idéologiques avec le centre-droit qu’avec les sociaux-démocrates européens.

De même les députés de l’aile gauche du Labour se réfèrent bien plus à Tsipras, à PODEMOS, à Mélenchon voire à certaines traditions troskystes proches de Tony Cliff, qu’aux partis socialistes ou travaillistes du reste de l’Union Européenne. Dans un même parti cohabitent des franges authentiquement révolutionnaires et marxistes et des libéraux pro-business altantistes convaincus.

Le fait que le système électoral favorise les grandes coalitions n’est pas étranger à cela. Le pragmatisme britannique qui veut que la victoire soit première aussi et qu’il faille regrouper des forces diverses pour gagner.

Les députés du parti travailliste sont certes souvent bien plus jeunes et bien plus divers dans leurs parcours que les socialistes français.  Et de plus, il n’est pas rare que des salariés modestes réussissent à devenir parlementaires via les syndicats ou les association comme l’est par exemple madame Eagle, candidate malheureuse à la vice-présidence du parti.

Mais quand on va au niveau des dirigeants principaux, les élites du Labour restent souvent dans le système traditionnel du fonctionnement britannique : grandes écoles, grands lycées.

10 choses qui changent avec la victoire de Jérémy Corbyn

La victoire de Jérémy Corbyn, si elle était inimaginable il y a peu, bouleverse l’échiquier:

  • L’homme vient de la gauche du parti. Et la gauche des travaillistes pourrait faire passer la gauche du PS pour de dangereux libéraux capitalistes. Corbyn est favorable au retrait de l’OTAN, aux nationalisations massives, à un dialogue avec le Hezbollah (la question du Moyen-Orient étant un gros marqueur à l’intérieur de la gauche UK). Le chef du parti nationaliste irlandais radical Sinn Fein a d’ailleurs salué la victoire de Corbyn.
  • Dans un pays qui se situe davantage vers une efficacité électorale, Corbyn veut remettre le débat de fond au centre. Quitte à, comme en ont peur ses ennemis, perdre les élections. C’est d’ailleurs la critique souvent entendue à son sujet : va-t-il laisser un boulevard aux conservateurs aux prochaines élections ?
  • Toutes les institutions travaillistes ont lutté contre une victoire de Corbyn, depuis les leaders historiques comme Tony Blair, Gordon Brown ou Neil Kinnock jusqu’au journal de gauche The Guardian (ce dernier a pris fait et cause pour l’insipide Yvette Cooper ). Fait révélateur d’un problème entre la base et les parlementaires : cette élection s’est faite au premier tour alors que fort peu de députés ont parrainé Corbyn. Va-t-il y avoir scission ? Cela est peu probable. Mais il est possible que le parti soit dur à gouverner. Surtout qu’il est désormais dirigé par un homme qui lui-même n’a pas souvent respecté les consignes de son parti quand il n’était que simple député.
  • La victoire du candidat avec 59,5% des voix est large, loin devant Andy Burnham, qui était par ailleurs lui situé également (bien que de façon bien moins radicale) sur l’aile gauche du parti.
  • Le classement des candidats au niveau du scrutin s’opère par la gauche : d’abord le gauchiste Corbyn, ensuite le social-démocrate Burnham, ensuite la travailliste classique (au sens de ces dernières années) Liz Cooper ensuite la blairiste et monarchiste Liz Kendall.
  • Les positions européennes de Corbyn sont pour le moins tièdes. Au vu du référendum annoncé sur le maintien de l’Union Européenne de la Grande-Bretagne, cela va peser de tout son poids.
  • Seul parmi ses concurrents, Andy Burnham a annoncé qu’il accepterait de rejoindre le shadow cabinet de Corbyn. Il faut donc s’attendre à des divisions fortes dans le parti.
  • De parti incarnant  » l’aile droite » de la sociale-démocratie européenne, le Labour bascule sur « la gauche ». De quoi changer un Parti Socialiste Européen dans lequel le PS français faisait figure de force gauchiste. De quoi aussi donner à réfléchir aux forces de la gauche radicale européenne: contrairement à PODEMOS ou à SYRIZA, c’est un parti de la gauche classique qui change d’orientation. De quoi aussi faire changer d’avis les éditorialistes de droite français qui vantaient le parti travailliste pour taper sur le PS.
  • Autre question : les forces qui ont permis l’arrivée de Corbyn à la direction, à commencer par les nouveaux adhérents, vont-elles durablement pérenniser leur travail dans le parti? Le recrutement des élites travaillistes va-t-il changer?
  • Et, chiffon rouge agité par ses adversaires, la ligne Corbyn va-t-elle être un poids ou un avantage pour la reconquête du pouvoir ? Ou la campagne de 1983, menée très à gauche et finie en désastre, n’était-elle qu’une circonstance liée à Thatcher et à ses succès aux Malouines ? Ou un problème structurel qui ferait, comme le disent les adversaires de Corbyn, que les britanniques détestent les politiques très à gauche ? Comme celles que défend le nouveau leader travailliste ?

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Jérémy Corbyn : 10 questionnements après sa victoire

Un spectre planait sur le travaillisme : Jérémy Corbyn.Un spectre qui a fini par gagner au premier tour du scrutin pour désigner le leader. Entrainant une série de commentaires pas toujours bien informés en France.

Dans ce parti travailliste, qui, à part une parenthèse dans les années 80, fut toujours une force de centre-gauche. Plus inspiré par le christianisme que par le marxisme comme le disait si bien l’écrivain David Peace. Un parti plus marqué par la négociation syndicale et les droits immédiats des travailleurs que par les grands soirs. Un travaillisme qui, le premier en Europe, passera sous l’égide de Tony Blair à ce qu’on nommera la troisième voie ou pour certains le social-libéralisme.

Le Labour : un parti qui va du NPA à l’UDI

Il est difficile de qualifier sur le fond le Labour, tant, bipartisme oblige, il a de visages idéologiques. Mais pour faire simple ce parti de gauche irait en France de l’UDI au NPA.  Il existe dans le blairisme de l’association Progress beaucoup plus de liens idéologiques avec le centre-droit qu’avec les sociaux-démocrates européens.

De même les députés de l’aile gauche du Labour se réfèrent bien plus à Tsipras, à PODEMOS, à Mélenchon voire à certaines traditions troskystes proches de Tony Cliff, qu’aux partis socialistes ou travaillistes du reste de l’Union Européenne. Dans un même parti cohabitent des franges authentiquement révolutionnaires et marxistes et des libéraux pro-business altantistes convaincus.

Le fait que le système électoral favorise les grandes coalitions n’est pas étranger à cela. Le pragmatisme britannique qui veut que la victoire soit première aussi et qu’il faille regrouper des forces diverses pour gagner.

Les députés du parti travailliste sont certes souvent bien plus jeunes et bien plus divers dans leurs parcours que les socialistes français.  Et de plus, il n’est pas rare que des salariés modestes réussissent à devenir parlementaires via les syndicats ou les association comme l’est par exemple madame Eagle, candidate malheureuse à la vice-présidence du parti.

Mais quand on va au niveau des dirigeants principaux, les élites du Labour restent souvent dans le système traditionnel du fonctionnement britannique : grandes écoles, grands lycées.

10 choses qui changent avec la victoire de Jérémy Corbyn

La victoire de Jérémy Corbyn, si elle était inimaginable il y a peu, bouleverse l’échiquier:

  • L’homme vient de la gauche du parti. Et la gauche des travaillistes pourrait faire passer la gauche du PS pour de dangereux libéraux capitalistes. Corbyn est favorable au retrait de l’OTAN, aux nationalisations massives, à un dialogue avec le Hezbollah (la question du Moyen-Orient étant un gros marqueur à l’intérieur de la gauche UK). Le chef du parti nationaliste irlandais radical Sinn Fein a d’ailleurs salué la victoire de Corbyn.
  • Dans un pays qui se situe davantage vers une efficacité électorale, Corbyn veut remettre le débat de fond au centre. Quitte à, comme en ont peur ses ennemis, perdre les élections. C’est d’ailleurs la critique souvent entendue à son sujet : va-t-il laisser un boulevard aux conservateurs aux prochaines élections ?
  • Toutes les institutions travaillistes ont lutté contre une victoire de Corbyn, depuis les leaders historiques comme Tony Blair, Gordon Brown ou Neil Kinnock jusqu’au journal de gauche The Guardian (ce dernier a pris fait et cause pour l’insipide Yvette Cooper ). Fait révélateur d’un problème entre la base et les parlementaires : cette élection s’est faite au premier tour alors que fort peu de députés ont parrainé Corbyn. Va-t-il y avoir scission ? Cela est peu probable. Mais il est possible que le parti soit dur à gouverner. Surtout qu’il est désormais dirigé par un homme qui lui-même n’a pas souvent respecté les consignes de son parti quand il n’était que simple député.
  • La victoire du candidat avec 59,5% des voix est large, loin devant Andy Burnham, qui était par ailleurs lui situé également (bien que de façon bien moins radicale) sur l’aile gauche du parti.
  • Le classement des candidats au niveau du scrutin s’opère par la gauche : d’abord le gauchiste Corbyn, ensuite le social-démocrate Burnham, ensuite la travailliste classique (au sens de ces dernières années) Liz Cooper ensuite la blairiste et monarchiste Liz Kendall.
  • Les positions européennes de Corbyn sont pour le moins tièdes. Au vu du référendum annoncé sur le maintien de l’Union Européenne de la Grande-Bretagne, cela va peser de tout son poids.
  • Seul parmi ses concurrents, Andy Burnham a annoncé qu’il accepterait de rejoindre le shadow cabinet de Corbyn. Il faut donc s’attendre à des divisions fortes dans le parti.
  • De parti incarnant  » l’aile droite » de la sociale-démocratie européenne, le Labour bascule sur « la gauche ». De quoi changer un Parti Socialiste Européen dans lequel le PS français faisait figure de force gauchiste. De quoi aussi donner à réfléchir aux forces de la gauche radicale européenne: contrairement à PODEMOS ou à SYRIZA, c’est un parti de la gauche classique qui change d’orientation. De quoi aussi faire changer d’avis les éditorialistes de droite français qui vantaient le parti travailliste pour taper sur le PS.
  • Autre question : les forces qui ont permis l’arrivée de Corbyn à la direction, à commencer par les nouveaux adhérents, vont-elles durablement pérenniser leur travail dans le parti? Le recrutement des élites travaillistes va-t-il changer?
  • Et, chiffon rouge agité par ses adversaires, la ligne Corbyn va-t-elle être un poids ou un avantage pour la reconquête du pouvoir ? Ou la campagne de 1983, menée très à gauche et finie en désastre, n’était-elle qu’une circonstance liée à Thatcher et à ses succès aux Malouines ? Ou un problème structurel qui ferait, comme le disent les adversaires de Corbyn, que les britanniques détestent les politiques très à gauche ? Comme celles que défend le nouveau leader travailliste ?

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