Dimanche dernier se tenait le meeting de lancement de campagne du Front National. On l ‘a dit et redit (voir exemple l’intéressant dossier de Mediapart de ce matin) : Divisé, victime de scissions, de démissions, le FN a perdu considérablement de sa puissance. Côté élus, c’est la fuite, au point par exemple qu’il n’existe plus de groupe FN au conseil régional de Bourgogne, que presque tous les conseillers régionaux du Nord et des deux Normandies (à quand une seule au passage ?) ont rejoint un tout nouveau Parti de la France créé par l’ex-frontiste Carl Lang. Côté militants, le parti est vieux, perd des adhérents, est en perte d’idées, les caisses sont vides après une présidentielle et des législatives très difficiles, ses scores électoraux, aspirés par la dureté de Sarkozy, ont été divisé par 2 voire 3 ou 4 selon les endroits. Bref, le FN semble rapidement aller vers l’état de cadavre.
Je me souviens pour ma part que quand j’ai commencé à militer en politique, d’un parti d’extrême-droite bien trop vivant qui était LE sujet qui mobilisait les énergies militantes contre lui. Il est vrai que la bête montait, montait, montait dans les élections, les sondages, les esprits et le nombre de ses troupes. Trois puis quatre villes étaient tombées au milieu des années 90 dans son escarcelle: Marignane, Toulon, Orange et Vitrolles. Prés de chez nous, si Lyon s’est toujours tenu loin de l’extrémisme de droite, Saint-Priest et Vénissieux voyaient le parti à la flamme trocolore faire des scores énormes, représentant la principale opposition. Le cordon sanitaire médiatique et politique dressé à son encontre avait pour certains des effets bénéfiques, pour d’autres ne faisait que lui donner le bénéfice du vote protestataire… En tout cas la bête montait.
Chaque structure militante, parti, association, syndicat, avait son responsable, sa commission de lutte contre le FN, ses tracts, ses actions spécifiques. Ras l’ Front, organisation assez proche de la LCR, avait même été constitué uniquement sur la thématique anti-frontiste, de même que le SCALP (Section Carrément Anti-Le Pen, plus ancien et plus proche des anars). Une version socialiste de la chose existait, le Manifeste contre le Front National de Jean-Christophe Cambadèlis, dont le rôle était également d’être une porte d’entrée vers les dynamiques réseaux du député parisien. L’appel à l’anti-Lepenisme était en effet souvent une clé pour inciter à la militance. Les anciens de l’UNEF-ID dont je suis se souviennent qu’il était soudainement plus facile d’intéresser au syndicalisme étudiant en évoquant la lutte contre l’extrême-droite que la transformation de la structure universitaire. Par ailleurs une littérature abondante sur le sujet lepeniste faisait les délices des éditeurs, en France et à l’étranger.
Et puis comme nous avons marché ! Oh oui. Chaque mois, chaque semaine presque donnait lieu à sa manifestation, son meeting anti-fn. Le moindre dirigeant frontiste dégoulinant de pétainisme mal digéré ou de national-libéralisme bon teint qui organisait une obscure réunion dans un boui-boui inconnu faisait déplacer en guise de protestation des centaines, des milliers de personnes dans les villes qui en étaient le théâtre.
La plus importante, dont une génération militante, la mienne, se souvient, c’est cette immensité réunie à Strasbourg en 1997 à l’appel de la Maire socialiste de l’époque, la théologienne protestante Catherine Trautmann. Sa cité avait en effet été contrainte d’accueillir le congrès frontiste. En ouverture, Le Pen s’était d’ailleurs fait apporter à la tribune une réplique de la tête de la première magistrate sur un plateau… Très classe. Nous avions pour notre part, chez les contre-manifestants lyonnais, du mal à trouver suffisamment de bus pour faire monter tout le monde pour protester, résolvant toutefois la question in-extremis. Je me rappelle de ces aires d’autoroutes remplies de bus de manifestants de toute la France et des pays frontaliers. Il y avait notamment ces impressionnants milliers de militants des jeunesses sociales-démocrates allemandes…
Un peu plus tard, un peu plus à Lyon, ce seront les manifestations contre les alliances entre l’UDF et le FN dans presque une demi-douzaine de régions. Certains quitteront le parti centriste à cette occasion, d’autres non. Chez nous, Charles Millon, réélu grâce aux voix du FN tentera une éphémère Droite Libérale Chrétienne. La mobilisation citoyenne contre lui sera immense. En réponse le conseil régional coupera les subventions aux lieux culturels et aux universités. Millon sera dégagé par une alliance de la gauche et de quelques centristes repenti de leur vote en faveur de l’ancien ministre de la défense. La chose pavera les années suivantes de la politique lyonnaise à droite mais c’est une autre histoire…
Pour une autre partie de la droite, faite de l’anti FN était un moyen de se donner un peu de vernis progressiste à peu de frais: « Oui je veux faire bosser les gens comme des malades, supprimer le SMIC mais je suis contre le FN… » ou de combler un vide ( soyons honnête, la chose existait aussi à gauche chez certains). Je me souvient ainsi d’un spot de présentation générale du Parti Radical où André Rossinot évoquait exclusivement la lutte contre le parti de Le Pen..Un peu court comme définition identitaire.
Et puis, à un moment de ces années-là, certains optimistes ont cru que le FN était mourant, naïfs que nous étions. Le parti avait explosé en deux, avec d’un côté les fidèles du vieux boss, de l’autre le MNR, créé par Mégret, souhaitant l’alliance de toutes les droites en tenant dans le même temps, de façon paradoxal, un discours plus radical. De l’autre côté, un certain nombre de naïfs s’étaient laissés convaincre que la victoire d’une équipe » Black-Blanc-Beur » résolvait la question du racisme et plus généralement de l’altérité en France, prédisant une fin historique à l’extrême-droite…. La surprise a du être grande pour eux en 2002, lorsque le FN se retrouva au deuxième tour un triste 21 Avril qui amènera à d’autres sursauts, d’autres manifs, gigantesques encore… Paradoxalement peut-être bien les derniers grands rassemblements anti-fachos. Ce sommet du président du FN signifiera aussi le début de la fin. Sarkozy reprendra et appliquera une partie du programme de Le Pen, s’emparant ainsi d’une bonne part de son électorat, une autre se réfugiant désormais dans l’abstention. Aujourd’hui la bête est blessée, n’arrive pas à fédérer, se situe un positionnement peu lisible sur certaines questions comme l’islamisme radical, mais n’est pas non plus disparue…Et elle nous a fait trés peur, beaucoup bosser mais fut pour certains l’occasion de premiers engagements citoyens.
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