Non ce blog n’a pas viré sa cuti. Il se trouve juste qu’après mon copain Simon, c’est ma copine Nelly Morisot, que j’avais déjà interviewée sur ce blog il y a quelques années, qui m’a envoyé une tribune. Ancienne assistante parlementaire de Laurent Fabius, responsable des réseaux Montebourg sur la Haute-Savoie, elle sort bientôt un ouvrage coécrit avec un autre réac de gauche, Renaud Chenu, sur les relations franco-allemandes. Mais elle a aussi beaucoup de qualités. Par exemple elle est protestante. Et auteure de superbes week-ends. Bonne lecture.
Toute campagne électorale réserve son lot de ratés : la phrase qui ne devait pas sortir, le off qui devait vraiment rester off, la stratégie marketing aux ficelles trop peu discrètes rapidement déconstruite par l’opposant et les médias trop friands de ce genre de déconvenues. Bref, la boulette.
Mais boulette n’est pas défaite. Dans un système informationnel où ce qui importe est de créer le buzz, de faire parler de soi, la petite phrase mesquine, méprisante ou en-dessous de la ceinture peut par exemple devenir une arme de diffusion massive permettant à l’outrecuidant de se hisser vers les meilleures places d’un baromètre politique très sensible à ce genre de turbulences. Un prix de l’humour politique récompense d’ailleurs désormais les plus créatifs de nos responsables. Cette tolérance au dérapage plus ou moins contrôlé a toutefois des limites.
Aussi forte que puisse être aujourd’hui la tendance au zapping de l’électeur ou du consommateur moyen, il n’en reste pas moins que la construction d’une image cohérente reste le préalable à tout succès électoral. C’est tout l’enjeu pour le candidat socialiste à la présidentielle de 2012, dont la campagne connait depuis quelques semaines un certain nombre de ces cafouillages. Réforme des retraites, révolution fiscale, quotient familial, toutes ces questions ont, dans l’ordre, fait l’objet de déclarations, contre-déclarations et mises au point par le candidat et/ou ses conseillers proches.
Il est encore temps de retrouver le cap, mais il n’est pas certain que la dernière trouvaille des stratèges de la campagne soit une idée lumineuse.
L’arme secrète, la bombe nucléaire que de valeureux kamikazes s’apprêtent à aller lâcher sur les poches de résistance ennemies, c’est un méritant camarade, spécialiste de l’histoire du socialisme : Alain Bergounioux, connu pour être l’un des derniers gardiens du courant rocardien. Cet éminent camarade a été chargé la semaine dernière par Martine Aubry de coordonner une « cellule de réflexion et de riposte » anti-FN. Une mesure qui a fait l’objet d’une annonce en grande pompe, avec des déclarations aussi constructives que « Le FN est un danger » (Harlem Désir) ou « il faut démystifier le programme de ce parti » (Alain Bergounioux). On imagine déjà Marine Le Pen tremblant dans ses chaumières à l’annonce de cette mobilisation des troupes adverses.
La question qui se pose ici n’est évidemment pas de savoir si la rhétorique sous-tendant les discours de l’héritière Le Pen et les réseaux soutenant tant bien que mal le parti historique du père sont dangereux. Il est évident que l’idéologie-FN n’a pas disparu avec le « coup de jeune » que sa nouvelle présidente lui a offerte, avec une efficacité d’ailleurs incontestable. De même, si les groupuscules extrémistes gravitant autour de la galaxie Front national ont été gentiment priés de se faire discrets, ils restent partie prenante dans la destinée politique du parti.
Non, comme la vérité, le problème est ailleurs. Le premier souci, c’est que dans un contexte de radicalisation générale des droites, et notamment de la droite française, isoler ainsi le FN met le PS dans une situation proche de la schizophrénie aigüe. Lui qui répète à longueur d’année, et avec raison, que l’UMP et ses principaux responsables hésitent de moins en moins à se baigner dans l’extrémisme de droite, se retrouve à appeler à voter pour eux par « réflexe républicain » (entre guillemets et avec des pincettes) dès qu’un candidat frontiste se retrouve dans un second tour non triangulaire.
Au lieu de dégainer à quelques mois du scrutin un gadget ad hoc, les socialistes auraient dû réfléchir depuis longtemps à la posture à tenir dans le cadre de cette situation nouvelle à droite, d’autant que les contributions scientifiques sur ce sujet ne manquent pas. Las ! On se contentera pour le moment de crier au loup. Jusqu’à la prochaine fois. Le second problème est sans doute bien plus épineux. Le PS prend le problème du Front national à l’envers. En se limitant à répéter que le FN est extrémiste – le Français qui l’ignore doit sans doute avoir passé ces 20 dernières années dans le désert de Gobi – il ferait mieux de se demander pourquoi Marine Le Pen est désormais favorite pour se placer en tête du premier tour.
Evidemment, on peut décider de se rapprocher mine de rien du « gros cons » que Sophia Aram, l’inénarrable chroniqueuse – comique dit-on – de France Inter envoyait il y a quelques mois à l’attention des électeurs de ce même FN. Il ne faudra pas, dans ce cas, s’étonner si les mêmes électeurs nous répondent par un bras d’honneur le 22 avril. Les études récentes montrent bien que les citoyens qui s’emparent désormais du bulletin FN de manière régulière sont bien loin de la caricature du beauf semi-alcoolique à forte inclinaison anti-bougnoules. Les nouveaux électeurs FN sont souvent des jeunes vivant dans des zones périphériques, subissant le déclassement social de leurs parents et n’imaginant pas de vivre une trajectoire différente.
En outre, de plus en plus de citoyens éclairés, structurés, parfois même de gauche, s’emparent du bulletin FN par pure contestation de l’offre politique traditionnelle, dans un pays où le vote blanc n’est pas comptabilisé. Autrement dit, la meilleure réplique au Front national ne réside pas dans une dénonciation qui, aussi intelligente qu’elle soit, ne peut qu’être stérile. Elle réside dans la crédibilité de l’opposition de gauche, qui doit prouver que c’est elle, la force de contestation. Une opposition qui cesse de se nier elle-même . Une opposition qui comprend que si l’anti-sarkozysme est sans doute un humanisme, il ne saurait constituer un programme en soi.
Allons, messieurs les stratèges, il est encore temps de se reprendre ! Marine Le Pen gagne des points parce qu’elle parle – très mal – de social, alors parlez-en, bien ! Marine Le Pen gagne des points parce qu’elle parle – mal – de protectionnisme, alors parlez-en, bien ! Marine Le Pen gagne des points parce qu’elle n’hésite pas à poser la question du fonctionnement de l’Union européenne et de sa monnaie (encore pour un temps) unique, alors saisissez-vous du sujet ! De grâce, ne laissez pas la gauche aller dans le mur alors qu’elle se trouve face à un boulevard. Il est temps. Plus pour longtemps.
Nellie Morisot