Aux temps antiques, le général victorieux rentrant dans Rome pouvait se voir récompensé de l’honneur d’une parade triomphale. Que les lycéens qui planchent en ce moment le sachent, leur baccalauréat si convoité vient de là : le héros du jour était paré d’une couronne de lauriers (Bacca Lauréa) tenue par un serviteur au-dessus de la tête du triomphateur suprême.
Et pour l’inciter à garder l’effort, à se préparer aux joies comme aux déceptions, à l’existence qui se défile avec le temps et à la raison, le couronneur répétait, comme nous l’apprend Tertullien, une phrase Respice post te! Hominem te esse memento! (Regarde autour de toi, et souviens toi que tu n’es qu’un homme !). Pendant des siècles la République et l’Empire firent régner une domination sans partage sur la méditerranée. Puis les héritiers de ces grands généraux et patriciens sombrèrent dans la décadence et la destruction. L’histoire finie sous les épées des barbares et la réédition de Romulus Augustule.
C’est un grand connaisseur de Rome l’antique, en la personne de l’ancien professeur de Lettres Classiques et sénateur-maire de Lyon, qui fête aujourd’hui ses 65 ans. Avec une puissance et des triomphes jamais atteints dans cette ville. Une décennie plus tôt, la ville semblait presque hors d’atteinte pour Gérard Collomb. Ancrée à droite, bien avant la naissance de Zizi (Jeanmaire pas Pradel), elle semblait promise pour l’éternité à connaitre un climat électoral du même acabit que Neuilly ou peu s’en faut. Pour paraphraser Ford, on avait le choix de la couleur politique de son Maire ou de son député à condition qu’il soit de droite. Aujourd’hui, après une municipale remportée de façon écrasante, le maire de Lyon continue à deux ans des prochaines échéances locales à dominer largement la vie politique lyonnaise. L’opposition, divisée, a bien du mal à poser des propositions alternatives et à trouver un chef. Aux dernières législatives, les trois principaux leaders de la droite lyonnaise ont mordu la poussière. Le leader UMP officiel et contesté, Michel Havard a été défait. Idem pour son rival déclaré, Emmanuel Hamelin. Le plus talentueux des trois, Denis Broliquier, n’a même pas passé le premier tour ni la barre des dix pour cent lors des législatives de juin, sur la 2e circonscription du Rhône. Et on voit mal où peut se poser la relève tant le désert est vaste derrière… Il ne reste plus que les commentaires sous pseudos des militants UMP sur les sites d’infos lyonnais pour se défouler un peu. Certes, Gérard Collomb bénéficie aussi des changements sociologiques de la ville et d’un électorat des grandes agglomérations qui vire de plus en plus vers le PS pour l’instant. Mais il sait également que son équation personnelle joue en premier lieu.
Mais comme les Romains de l’ancien temps, la puissance, si elle n’est pas pensée avec sagesse, pourrait amener à la décadence en cas de manque de vigilance. Pour une partie de la gauche tout d’abord qui, face au danger moins pressant de l’opposition, peut être tentée de jouer la division pour exister.
C’est d’ailleurs ce que faisait la droite du temps de sa splendeur, qui présentait toujours au moins deux listes jusqu’à perdre en 2001, en dépensant une énergie invraisemblable en guerre internes. Ensuite parce qu’avec le renouvellement de la population, bon nombre d’électeurs pourraient voter sur des considérations nationales dans deux ans, et l’on sait que les élections locales ne sont pas toujours favorables au camp gouvernemental. Enfin parce que la ville doit continuer à bouger comme elle le fait actuellement.
Certes, être dominant permet d’avoir les coudées franches pour travailler…Et, même si Gérard Collomb se représente pour un prochain mandat, il n’est pas éternel. Si ses éventuels successeurs n’ont pas l’habitude du combat et du débat, il est tout à fait possible qu’à terme ils finissent, le militant que je suis ne l’espère pas, comme Romulus Augustule.
Chronique parue hier sur Lyon Mag