L’hebdomadaire protestant Réforme a lancé un concours de contes de Noël.Voici la prose que j’ai envoyé, un conte à ma façon intitulé « Décompte de Noël« .
Je ne sais pas si je vais gagner mais le pasteur a aimé.Il trouve que ça sort de la niaiserie que l’on trouve parfois dans le genre.
J’ai pris en tout cas beaucoup de plaisir à l’écrire.
Décompte de Noël
Les billets de banque sont les tickets de rationnement de la liberté penses-tu. T’es très content de
cette phrase très juste.
Tu continues dans tes pensées : l’argent n’est pas à diaboliser ou à vénérer en soi mais c’est actuellement devenu comme un système de tickets de rationnements de la liberté. Tu disposes de 100 euros et tu souhaites aller à Bourgoin ? Tu peux, tu en as possibilité, la liberté. Tu veux aller à Douala ? La chose est là impossible à moins de prendre ton bâton, ta gourde et de réussir à trouver des petits boulots sur le chemin. Tu veux entrer dans tel endroit, tel spectacle, et tu n’as rien dans ta poche ? Voilà donc une cité interdite qui se dresse. Il te faut donc mériter ou être assez malin, assez rentable ou assez filou pour mériter tes bouts de liberté, tes
laisser-passers.
Eh oui c’est dur d’envisager Noël quand on est, comme mon pote François, à penser à faire un dossier de surendettement. La situation n’est pas dramatique mais pose forcément question quand à la capacité, à la responsabilité que l’on peut avoir de gérer son argent. Allez, ne nous prenons pas le chou même si il faut penser à François, à ses dettes et à ses goûts bizarres. « Le temps c’est pas de l’argent, cette connerie nous affaibli, ton temps c’est ta durée de vie et nous sommes
libres » dit une célèbre rappeuse.
Ouais, et puis penser que Noël, ça doit être dépouillé, c’est pas matériel, c’est quand même politiquement correct et moraliste se dit Charles… Mais Noël, il parait que c’est une fête d’amour, de
retrouvailles familiales. C’est quand même niais dit comme ça, mais bon.
Mais quelles retrouvailles pour mon pote Jean qui a fini par dire à ses parents adieu, pas de repas de Noël en commun, vous m’êtes néfastes, j’en ai marre, je pars, comme on casse, comme on rompt un
fil, une relation amoureuse qui ne va plus ?
Eh t’es sombre Charles se dit-il. Y’a de la
joie dans les rues de Lyon, y’a un parfum qui flotte dans le 7e, un
bonheur à la Guillotière…
Bon et puis arrête d’être ronchon, t’as encore une bonne partie de la vie devant toi horrible grognon, grosse bête, sale
flemmard.
Y’a de l’énergie dans ton corps, des amis dans ta vie et la lueur incandescente de l’amour pour elle dans ton cœur. Tu as peur de quoi imbécile à trois têtes ? De mourir ? C’est Napoléon, ce véritable surmoi français qui disait qu’un homme courageux meurt une fois mais un couard à une centaine de reprises. Non, tu l’as pas lu en beau français façon biographie d’académicien ou d’ancien ministre mais sur la pochette d’un
album de rappeur de Detroit, dans la langue de Bukowski.
Et puis le protestant, cette variante du christianisme que tu as épousée en troisième noce après le catholicisme dans le package natal puis l’athéisme dans un tournant d’une nuit bretonne qui dura
quelques années, un lustre, il dit quoi ?
C’est un truc de pleureuse moraliste, Noël ? Ou un truc de consumériste peinant à se repaître jusqu’à faire une
aussi grosse indigestion que tu l’as fit l’an passé?
A la base, c’est juste un truc simple, un de ces éléments qui faisaient qu’il y a longtemps, à ses débuts, dès sa naissance, le christianisme sentait la sueur des gens modestes et la simplicité. Noël est devenu œcuménique, partagé, c’est heureux, on partage y compris avec ses copains juifs et musulmans ce temps de fête, tout comme les gâteaux de l’Aid-El-Kébir et les beignets de Hanouka ne sont pas communautaristes et fermés mais ouverts à tous. Mais Noël, c’est au départ la naissance d’un être qui allait apporter une très grande révolution spirituelle, un élan de liberté qui allait certes être parfois subverti par son alliance avec les autorités
terrestre et surtout avec la morale des hommes.
Un espérance couronnée d’une étoile, comme celle d’un des ses ancêtres, David, dont le peuple juif fit son emblème tout au long de sa tragique histoire mais qui lui fut cousue de force pour le marquer au fer rouge de la discrimination et, bien pire, de la Shoah, comme l’étoile rouge qui fut, comme le christianisme, parfois pervertie par le pouvoir et
transformée par celui-ci, une étoile noire (euh non, ça fait Star Wars, enfin la guerre des étoiles
comme sur les cassettes de ton enfance), mais parfois, le plus souvent, même quand la fin ne mangeait pas les moyens, quand le peuple n’était pas mangé par ceux qui se veulent ses porteurs de voix, moteur de progrès pour l’humanité
malgré les sceptiques.
Bon, ne retombe pas dans la politique, petit con, ne divague pas, comme le disaient tes maîtres de l’école jacobine-de-la-nation (Quand est-ce qu’elle sera européenne d’ailleurs, celle-là ?), Jésus c’est pour tout le monde… Ouais c’est vrai. Donc Jésus a amené une révolte qui porte sur une transformation de soi-même. Donc c’est ça qu’on fête. On n’est pas dans l’adoration du cadeau, du sapin ni dans la version Noël des émissions de télé, ces
moderne « idoles de métal fondu, qui enseigne le mensonge, pour que l’artisan qui la taille place sa confiance en
elle, faisant ainsi des faux dieux muets
Ha 2-18 ». Bon ok sur ledernier point, tu te la joues car comme tout le monde tu regardes l’écran. Et la posture : « J’ai pas la télé chez moi je suis un rebelle » te
parait un peu artificielle.
Mais bon il y a un tel côté charogne qui sourit chez le petit écran que tu es pas toujours à l’aise. D’où tes doutes. D’où cette citation d’Habacuc. D’ailleurs pourquoi Habacuc ? Pourquoi ce prophète, parmi les plus sombres des pourtant forts désespérés petits prophètes de la
bible est-il un des livres qui te fascinent ?
Un reste du collégien amateur de Stephen King ? Ou le côté un peu anar de ta posture « libertaire-libérale-sociale-démocrate » ? Tu oublies pas que Habacuc était parfois aussi un moraliste défenseur de son
Etat ?
Ah, rien à voir petit Charles-Gonzagues tu es compliqué. As-tu pensé à lui acheter son cadeau à Sophie-Agathe ? Je suis sûr que non à force de partir dans tes circonvolutions intellos-prise-de-chou… Je sais que tu es comme dans ce film chrétien anglais, Money, que tu es préoccupé par le fait qu’on enferme les preuves d’amour dans les objets mais tu pourrais être poli. Ne cherche pas d’échappatoire. Et soit
créatif, non de Dieu (tu vois tu me fait évoquer le Seigneur en vain !).
Bon et Noël ? Une simple commémoration ? Un bidule qui a pris la poussière, la même gangue vêtue d’une robe de bure qui fait passer parfois la foi comme un truc vieux et usé qui ramène au Moyen Age ? Un moralisme imposé d’en haut par les superstructures
? Ou un point d’étape d’une espérance à construire ?
Allez lève-toi, c’est l’heure d’aller au temple,la rue Bancel n’attend pas. Il s’agit de fêter Noël selon ce qu’il est, non une commémoration enfouie sous la cendre, non un banquet consumériste, non un outil au service d’un structure terrestre, mais de continuer l’élan de
l’espérance de la promesse de Jésus-Christ.
Allez, bouge-toi, on va être en retard.