Les déclarations contre la neutralité du web de Stéphane Richard, PDG de Orange, leader français des télécoms, invité de Frédéric Martel ce soir sur France Culture, aux côtés de l’excellent Pierre Haski, sont des plus inquiétantes.
Surtout quand on les met en rapport avec les offres récentes pas innocentes d’un autre acteur de l’accès numérique français, SFR, qui a récemment fait la publicité d’un pack RED privilégiant youtube sur les autres solutions vidéos. Ou avec le fait que dans le même temps les USA remettent en cause la neutralité du net.
Ramer ou ne pas ramer? Les enjeux de la neutralité du net
Pour faire simple la neutralité du web, pour ceux qui l’ignoreraient (ils sont nombreux et pas qu’en France si j’en crois ce sondage évoqué par VentureBeat), c’est la possibilité d’accéder de la même façon à tous les sites internet sans discrimination d’accès ni de traitement particulier. L’internet brut, sans filtre, au choix libre de l’utilisateur. Bien sûr, il est possible dans cette liberté, d’amener quelques correctifs, par exemple pour éviter les horreurs des contenus pédophiles ou le racisme. Concrétement il s’agit en dehors de ces cas qu’aucun site ne soit censuré ou même fortement ralenti dans sa connection par rapport à un autre. Dans de nombreuses dictatures, bien évidemment l’internet libre n’existe pas vraiment voire pas du tout.
Mais, pourraient en croire certains, tant que nous sommes en démocratie, il y a peu de risques que le net soit menacé dans sa neutralité. C’est oublier la relation entre les fournisseurs de contenus (Youtube, Libération, Mother Jones par
exemple…) et les fournisseurs d’accès internet (Orange, Free et ailleurs en Europe, Irish Broadband, Jazztel etc…).
Vous trouverez un excellent dossier dans Slate sur le sujet de la neutralité du net pour plus de détails, mais pour résumer et simplifier beaucoup:
Il arrive parfois que les fournisseurs d’accès rendent plus difficile l’accès à certains contenus sur internet, soit parce que certains sites sont encombrés à certaines heures et qu’elle n’a pas assez de puissance (et ne veut pas dépenser pour en ajouter, exemple de Free avec Youtube) soit parce que le contenu rentre en concurrence avec ses intérêts commerciaux. Par exemple nombre d’opérateurs font sérieusement ramer Skype ou Tango, qui permettent de téléphoner sans passer leurs services. Mais ces discriminations sont théoriquement interdites et Orange par exemple a déjà dû reculer après avoir tenté de poser des clauses abusives dans ce domaine.
Les fournisseurs d’accès souhaitent que les producteurs de contenus signent des partenariats pour que l’on puisse accéder plus facilement à leurs sites.
Ce qui serait financièrement rentable pour Orange ou Free qui encaisseraient les chèques mais poserait de vrais soucis: imaginons qu’un fournisseur d’accès signe un accord avec le Figaro et pas avec Libération ou le Monde (ou l’inverse). Il faudrait aller chercher son information sur le portail d’un journal plutôt qu’un autre sous peine de mettre plusieurs minutes parfois à ce qu’un site qui n’aurait signé aucun accord s’affiche.
Certes il est logique de poser la question du rôle des fournisseurs de contenus par rapport à ceux qui font circuler les internautes. Mais à la fin, seuls les géants du web pourraient s’offrir le meilleur dans le domaine: il serait sans doute facile pour Google Musique de payer pour ne pas ramer, ce serait plus difficile pour Qobuz. On choisirait donc d’aller écouter du son en streaming chez l’un plutôt que chez l’autre notamment pour cette raison…
La neutralité du net, une bonne raison d’aller voter aux élections européennes
Et cet internet à deux vitesses entre les sites pourrait se retrouver aussi entre abonnés: Neelie Kroes, commissaire européenne de tendance libérale de droite et soutien de Guy Verhofstadt, a plaidé pour des abonnements à différentstarifs en fonction des accords passés ou non avec les opérateurs. Pour faire simple, il y aurait un abonnement lent pour les pauvres, rapide pour les plus aisés.
Fort heureusement sa position est minoritaire en Europe. L’Union Européenne s’est justement souvent positionnée – notamment (mais pas seulement) grâce aux écologistes et aux socialistes – pour la neutralité du numérique. En France Axelle Lemaire est très consciente des dangers d’une telle remise en cause et a déjà travaillé sur la question. Mais sans l’Europe il est à coup sûr certain que nombre d’Etats auraient déjà cédé sur la neutralité du net. Une bonne raison pour ne pas oublier que l’Union Européenne joue un rôle fondamental dans un geste que nous faisons chaque jour: aller sur le net. Et de ne pas oublier d’aller voter aux élections européennes.