Il n’est pas si facile d’aller en Tunisie. Enfin plutôt dans la Tunisie des tunisiens.
Non pas que le pays soit loin ou les vols rares et coûteux.C’est juste que les possibilités de s’y rendre se résument très souvent à un vol charter pour aller bronzer à Djerba ou à Hammamet. Qu’on peut au cours de son séjour croiser plus sûrement un comptable de Saint-Priest qu’un natif de Sfax. Que pour l’obsédé de politique que je suis, il est dommage de passer à côté de l’émulsion constante d’une démocratie en construction en se livrant en lieu et place à la pas non plus désagréable mais moins stimulante activité du cocktail en bord de piscine.
Mais il y a peu ma copine Suzanne a quitté les terres d’un Buffet de Oullins qui n’avait pas encore pris la veste que l’on sait lors de l’élection du président du Grand Lyon, ceci pour aller oeuver dans une ONG de Tunis à travailler sur la cause des femmes en période électorale. Elle a fait, avec ses amis, un blog: Lyon2Tunis.
Et j’ai su que mon amie Karima Souid, députée à l’assemblée nationale constituante était disponible et qu’un certain nombre de contacts de la société politique et civile étaient disposés à m’accorder un peu de temps, j’ai pris quelques jours de vacances et un avion de chez Tunisair.
Il y un paradoxe en Tunisie : le pays et la culture sont bien sûr distincts de la France et de l’Europe. Le continent n’est pas le même et cela faisait près de vingt ans que je n’avais pas foulé le sol d’Afrique. Mais il y a, du fait des liens, de la proximité des tunisiens de France, de la francophonie, même écornée par les islamistes, l’impression d’être dans des contrées un peu familières.
La Tunisie est un pays très politique , dans lequel le débat semble permanent. La société civile y a une place prépondérante : par exemple ce sont les syndicats de travailleurs et un syndicat patronal bien plus constructif que notre extrémiste MEDEF qui ont calmé les tensions liés aux assassinats politiques de dirigeants de gauche par des commandos.
Les ONGs, les associations de Droits de l’Homme sont puissantes et souvent respectées. De jeunes volontaires de tous pays, j’en ai croisé quelques uns, viennent d’ailleurs apporter avec intérêt leur pierre à un processus d’observation de la recréation démocratique. Ce poids de la société civile ainsi que celle d’une fraction de l’opposition déterminée face à une majorité islamiste hantée par l’exemple Egyptien ont finalement amené à une constitution plutôt progressiste.
Le pays est-il pour autant ce havre de paix et de concorde qui est parfois vendu par certains, le CPR et Ennadha reprenant alors le flambeau d’une communication d’Etat vers l’extèrieur basée sur un havre de libéralisme? Est-il une catastrophe cachée comme voudraient le faire croire d’autres ?
La scène politique tunisienne est particulière : mis à part les islamistes, sur une base conservatrice, tous les partis se réclament peu ou prou de la gauche. En les additionnant tous, ceux-ci seraient largement majoritaires à l’assemblée. A la place c’est Ennhada qui gouverne avec le CPR (centre-gauche à connotation de plus en plus nationaliste et depuis un certain non dénués d’ambiguïtés vis à vis du religieux) et Ettakatol (même positionnement, avec au début une plus grande part accordée au progressisme).
Karima Souid fut d’ailleurs élue d’Ettakatol pour la circonscription des tunisiens de la moitié sud de la France. Figure du monde associatif lyonnais, elle s’est retrouvée, après avoir été sollicitée, élue d’un parlement dont elle avait du mal à parler la langue littéraire et confrontée à une aile nationaliste qui lui déniait le droit d’être tunisienne autant que française.
Le français se répand par toutes ses lettres dans les rues de Tunis. Peu de presse par contre : deux quotidiens mais pas vraiment de chaine de télévision francophone. La langue de Molière est souvent vue, avant par Ben Ali, aujourd’hui par certains islamistes, comme le vernaculaire de bobos pédants et progressistes. Karima, elle, a quitté Ettakatol, trop faible en démocratie interne, trop proche de Ennadha, El Massar, un parti social-démocrate issu de la fusion de plusieurs petites organisation.
Pour Karima et son compagnon, que j’ai le plaisir de rencontrer dans le joli quartier de la Marsa, la vision de la Tunisie ne doit pas être idéalisée : si la majorité islamiste a lâché du lest, c’est pour mieux faire un travail d’imprégnation en douceur à long terme, en agissant sur la culture sans assumer le risque du discrédit du pouvoir. Si il y a un processus de prise de décision populaire, la classe politique tunisienne, quelque soit son bord est en train de dégoûter les gens de la chose publique.
Arrive un géant démocratique :Kamel Jendoubi. Ce dernier est l’organisateur d’un grand défi : celles que furent les premières élections libres de Tunisie. Opposant forcé à l’exil, figure respectée de tous les camps, il a réussi un exploit dont peu peuvent se vanter : celui d’assurer un suffrage loyal dans un contexte difficile et inédit. Les conversations roulent : faut-il approuver ou pas l’exclusion des ex-benalistes du droit à se présenter aux élections ou faut-il laisser faire la justice ? Comment se reconstruit le débat. Vient aussi l’influence forte du Qatar dans l’économie et le soutien à certaines forces politiques. Pendant que la nuit enveloppe les environs antiques de Carthage, le futur se créé, ici, pas très loin de ce côté de la mer. A suivre.