Voici une tribune que j’ai rédigé hier et publiée ce jour sur le site de Lyon Mag « Défendons (un peu) le Beaujolais Nouveau ». N’oubliez pas d’ailleurs qu’il y une dégustation du breuvage au profit des plus démunis ce vendredi (groupe facebook dédié) .
C’est comme la ponctuation d’une année.
C’est comme la rentrée des classes, la sortie d’un nouveau Woody Allen,
d’un Amélie Nothomb, que la cadence est donc régulière, c’est
l’ouverture en fanfare des premiers futs du Beaujolais Nouveau.
Pauvre beaujolpif, produit cette année par des viticulteurs en
pleine souffrance : si la récolte du raisin est bonne, elle est chiche.
Pauvre
beauj’ nouveau, méprisé par les délicats. Osez un seul moment dire que vous prenez, ne serais-ce qu’une once de plaisir à une lampée de son jus fruité, et vous passerez pour le dernier des malotrus, pour un ignare de la boisson, pour un béotien du viticole et un ignare de la gastronomie. Pire même : pour un touriste de la tendance des ravis permanents, nouvelle appellation politiquement correcte fabriquée par
votre serviteur pour désigner les imbéciles heureux.
Cela
n’empêche pourtant pas les notabilités lyonnaises, sur leur composante
la plus vieillissante, ces éminences pourfendeuses émérites du jugé trop vulgaire breuvage, à droite comme à gauche,
dans les affaires, les
médias comme la politique, que de s’arracher les cartons d’invitations,
les précieux cartons, pour le goûter avant tout le monde chez m’sieur l’Préfet, au conseil général ou au Hilton, sous les auspices du Progrès.
« Il faut s’efforcer d’être jeune comme le Beaujolais », disait Robert Sabatier. Ces augustes vieillards et semis-vieillards en notabilités chercheraient-ils le sang de la jeunesse dans les coupes échangées ce soir d’avance sur tout-venant obligé d’attendre minuit la
perce des tonneaux à Bellecour ?
Cessons d’être mauvaise langue, nous avons besoin de conserver tous nos sens gustatifs pour l’ouverture des bouteilles à venir.
Pauvre nectar nouveau ! Pourtant tu as beau avoir inspiré les Côtes-du-Rhône et la Touraine, tu as beau partir par cargos entiers à Pékin comme à
Tokyo, tu peux courir les verres et les carafes de la France et du globe, on te refuse toujours le pourpre (un comble pour un vin rouge) de
l’authenticité et de la véracité,
on ne veut pas que lors d’un moment, échappéun peu du formatage, on te laisse un respirer sur le zinc des verres
trinqués en amitié.
Certes, après avoir goûté un peu tes atours, certaines années de framboises, d’autres de banane, on peut aisément se
lasser parfois d’un abus d’aromates aussi étrangers au raisin que Nadine
Morano, Michel Charasse ou Kim Dotcom au bon goût.
Certes tu es, de ton terroir, sans doute pas le plus charpenté ni le plus affiné.Tu es un peu superficiel à te comparer à tes frères du Fleurie et du Côte de Brouilly et sot serait celui qui voudrait abuser de tes charmes. Il en ressortirait le lendemain casqué façon Godefroy après un bon
bouillon.
Il est vrai que les mauvaises langues te disent plus calibré dans les dossiers des études marketing que dans les tréfonds de
terre mère.
Ou que tu pourrais inciter les gros consommateurs de boissons alcoolisées à suivre cette maxime « Boire peu pour boire
longtemps ».
Mais qui, à part toi, peut se gargariser (non ne vous gargarisez pas AVEC du beaujolais nouveau, l’effet serait redoutable)
de donner autant le sens de la fête à la percée de tes outres ?
Au débouchage de tes bouchons. Certes, comme le dit le Talmud, il n’y a pas de joie sans vin et tu n’as, c’est évident pas à toi tout seul
l’exclusivité de la possibilité de l’ivresse des êtres.
Mais qu’il est doux ce jeudi où l’on s’interpelle à longueur de rues et de
quartiers de Lyon pour un verre entre copains. « Eh t’as goûté le
beaujolais nouveau ? Viens tu me dira quel goût il a cette année… ».
à boire avec modération